mardi 30 novembre 2010

Luxembourg, Irlande, île de Man... 
suite et fin

Et le témoin, déjà interrogé par le juge Marc Trévidic (en charge de l'attentat de Karachi)
et les policiers de la DNIF (division nationale des investigations financières) en juin dernier,
d'ajouter:

«Après avoir consulté de façon précise mes agendas – ce que je n'avais pas fait lors de 
mon audition devant M. Trévidic –, j'ai indiqué aux policiers de la DNIF avoir vu 
M. Takieddine chez M. Donnedieu de Vabres, cela devait être le 7 juin 1994 comme
le mentionne mon agenda. Je confirme également ce que j'ai dit aux policiers, 
à savoir que j'ai rencontré par la suite M. Takieddine à de très nombreuses reprises,
uniquement dans le cadre du contrat Agosta Pakistan.» 
Dans Le Monde de ce week-end, M. Donnedieu de Vabres a pourtant soutenu que 
«ce n'est pas nous (sous-entendu le ministère de la défense) qui imposions ces intermédiaires.
Ils étaient imposés par les pays

Extrait des agendas de M. Aris de l'époque:

«Lors des premières rencontres avec M. Takieddine, a poursuivi le témoin, ce dernier 
m'a alerté sur le fait que nous risquions de perdre des contrats de sous-marins au Pakistan
car nous aurions mal couvert le niveau politique pakistanais, à savoir Mme Benazir Bhutto 
et son mari, Asif Zardari, aujourd'hui président du Pakistan et que nos 
concurrents allemands devenaient dangereux.»

Dans l'esprit de M. Aris, qui pratique à merveille l'art de la litote, par «couvert»,
il faut bien entendu comprendre «corrompre».

«M. Takieddine, a continué M. Aris, me réclame alors 6% de commissions pour couvrir
ce niveau politique pakistanais. J'en rends compte à mon président, M. Dominique Castellan.» 
Après de dures négociations, un accord est trouvé entre les deux parties: 
«Finalement, nous avons signé à 4% avec des paiements très accélérés par rapport
aux paiements du client, sur la demande pressante de M. Takieddine qui voulait 
100% tout de suite, dès la mise en vigueur du contrat

Au terme de son audition, M. Aris a de nouveau été questionné sur Jean-Marie Boivin, 
et notamment sur le chantage d'Etat auquel ce dernier s'est livré entre 2004 et 2006, agitant 
au plus haut niveau de l'Etat français le spectre de fracassantes révélations sur 
les véritables destinataires de certaines commissions.

«M. Boivin menaçait-il de révéler à la justice les faits dont il avait pu avoir connaissance 
lors de ses fonctions dans les circuits de paiement ?»,
a demandé le juge. « MM. Fabarez et Japiot (dirigeants de la DCN, NDLR) m'ont 
effectivement fait part dans ces années-là des menaces de Boivin, a répondu Emmanuel Aris.
M. Boivin, selon ce que j'ai compris, réclamait, je crois, 8 millions d'euros, sinon il disait tout. 
Je précise que je ne vois pas ce que M. Boivin pouvait dire car à cette époque – 1994-2000 –, 
il ne connaissait pas le nom des bénéficiaires.» 


© Reuters

Une affirmation pour le moins surprenante. 

Dans des lettres de “chantage” à peine déguisé, envoyées en 2006 à plusieurs responsables politiques français, comme Jacques Chirac, Michèle Alliot-Marie ou Nicolas Sarkozy,
un associé de M. Boivin dans Heine glissait toujours la même phrase:  

«J'attire également toute votre attention sur la personnalité
des destinataires des sommes versées.»

Pourtant, M. Aris est formel: «M. Boivin connaissait le circuit des paiements,
mais ignorait l'identité du bénéficiaire de ces sommes. 
Je vous précise que les sociétés de rang I étaient parfaitement connues puisque 
figurant dans nos comptes.»

«Ce n'était pas le cas des plateformes de rang II qui elles n'apparaissaient pas 
dans les comptes de DCN-I, a fait observer le juge.  
L'identification de ces plateformes et de leurs comptes n'était-elle 
pas de nature à permettre d'identifier les agents ?»

«Effectivement, a concédé Emmanuel Aris, les sociétés de rang II n'apparaissaient pas 
dans les comptes de DCN-I. Par contre, les quatre sociétés de rang II étaient connues 
des sociétés de rang I puisqu'elles y effectuaient des transferts régulièrement. 
M. Boivin connaissait parfaitement les sociétés de rang II puisqu'il s'y rendait pour effectuer 
les paiements. Je vous précise que M. Boivin se déplaçait à chaque paiement pour donner 
des ordres de transfert de vive voix, et cela, pour ne pas laisser de traces 
(télex, téléphone ou autres).»

 Le témoin poursuit: «Il allait d'abord au Luxembourg ou en Irlande exécuter, sur nos instructions, 
les transferts aux sociétés de rang II. Puis, il se rendait aux Bahamas, aux BVI, aux îles Caïmans 
et à l'île de Man, aux quatre sociétés de rang II, pour effectuer le transfert final vers 
le compte de l'agent que je lui avais indiqué. Je précise que ce processus a été appliqué, 
de 1994 à 2000, pour tous les contrats de DCN-I.»

Déterminé à remonter la piste menant à d'éventuelles rétrocommissions, 
le juge Van Ruymbeke sait désormais très précisément où diriger ses investigations.

a suivre

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire