mardi 12 juin 2012


Les passerelles sont lancées entre l'UMP et le FN
Par Marine Turchi
 Médiapart

L’UMP opte pour la règle du “ni-ni” (ni Front national, ni Front républicain) dans les duels gauche/FN. Des candidats se désistent ou songent à se désister au profit du Front national. Jean-François Copé affirme qu’il est hors de question d'appeler à voter pour un candidat socialiste « qui en plus fait alliance avec le Front de gauche ». Christian Estrosi souligne qu’il n'a « aucune valeur commune » avec le PS, en s'abstenant de le préciser au sujet du FN.

Nadine Morano explique qu'elle « partage les valeurs des électeurs du FN » sur « la maîtrise de l'immigration », « le refus du droit de vote aux étrangers », « l'assistanat »

La députée Brigitte Barèges, partisane d’une « préférence nationale » dans l’accès à l’emploi, explique qu’elle serait « ravie » que Marine Le Pen « soit élue à l'Assemblée nationale » car « elle représente un courant permanent ». A l’UMP, à quelques jours du second tour des législatives, les digues sautent les unes après les autres.
Le “ni-ni” constitue déjà une semi-victoire pour le FN (cela revient à mettre sur un même plan extrême droite et gauche). Marine Le Pen s'en est d'ailleurs félicitée, notant qu'il s'agissait là d'une « avancée appréciable par rapport à l'infect front républicain ». « Copé est sur le bon chemin », a-t-elle ajouté



 Le désistement de candidats UMP, qui choisiraient de se retirer dans certaines triangulaires, serait lui synonyme de victoire de députés frontistes.
Certes, Copé a condamné lundi la décision de Roland Chassain, candidat UMP de la 16e des Bouches-du-Rhône, de se retirer pour tenir sa « position » « tous contre Michel Vauzelle » (PS). Mais il l’a vite relativisée d'un « Ne nous arrêtons pas à une circonscription ». Chassain pourrait pourtant être imité par d’autres. Etienne Mourrut, député sortant de la 2e du Gard, hésite à se retirer au profit de Gilbert Collard. Ses militants ont annoncé qu’ils voteraient de toute façon pour ce proche de Marine Le Pen.

Mediapart n'a eu de cesse de mettre en évidence cette porosité entre le FN et une partie de l'UMP (lire nos enquêtes sous l'onglet Prolonger). Si certaines digues sautent aujourd'hui, c'est à la suite d'années de rapprochement idéologique, humain, entre les deux familles politiques. C'est ce que démontre un rapport réalisé par Terra Nova, centre d'études fondé en 2008 par le socialiste Olivier Ferrand, aujourd'hui candidat dans les Bouches-du-Rhône. Intitulé 
 « L'axe UMPFN : vers le parti patriote ? », ce rapport de 95 pages, qui sera rendu public cette semaine, a été réalisé par une douzaine d'universitaires : chercheurs spécialistes de l'extrême droite (comme Jean-Yves Camus), historiens (comme Nicolas Lebourg), spécialistes de la sociologie électorale ou sociologues (lire notre Boîte noire).

Selon ce rapport, « la digue rompt » avec la présidentielle de 2012. Nicolas Sarkozy a « fait bouger le centre de gravité de la droite » au sommet de l'Etat, et « le renforcement du FN le 22 avril 2012 résulte prioritairement de cette évolution ». Mais les auteurs mettent en évidence une « convergence idéologique », des « jonctions » programmatiques et une multiplicité de passerelles humaines bien antérieures à 2012. La prochaine étape serait
 « en cours » : celle de la « convergence institutionnelle », avec la constitution d'un « parti patriote », souhaité par Patrick Buisson,  
« réalisant l’union des droites ».
   
Avec la présidentielle, « la digue rompt »

Loin d’être « une simple tactique politique conjoncturelle », cette convergence entre le Front national et l'UMP serait « structurelle » et marquerait « la victoire idéologique de la droite radicale ». Point de départ du rapport de Terra Nova : le travail idéologique d’une «“nouvelle droite” décomplexée », initié dans les années 1970 par le GRECE et le Club de l’Horloge pour lutter contre une prétendue « domination culturelle de la gauche ». 

 Ce travail est relayé dans l’espace public par des auteurs comme Xavier Raufer, Jean Raspail, ou Alain Finkielkraut, sur Internet (via des sites comme Français de Souche et des milliers d’activistes de la « fachosphère ») et dans les médias, qui donnent la parole à des journalistes et éditorialistes comme Ivan Rioufol, Eric Zemmour, Elisabeth Levy ou Robert Ménard.

Avec l’élection présidentielle de 2012, « le rapprochement idéologique s’opère, par le double mouvement d’un FN déghettoisé et d’une UMP radicalisée ». D’un côté, un Front national qui opère deux ruptures (accepter sur la forme les codes républicains via la stratégie de “dédiabolisation”, et construire une offre idéologique cohérente), mais ne modifie pas sa ligne idéologique.  

« Le fond de sauce xénophobe s’est modernisé en passant de l’antisémitisme au rejet de l’islam, explique le rapport. Mais ses ressorts n’ont pas changé : défense de l’identité nationale, rejet de l’étranger, de l’immigration mais aussi de la “cinquième colonne”, hier les Juifs aujourd’hui les Français musulmans, qui diluent l’identité nationale dans un mondialisme délétère. »
De l’autre, une UMP qui se radicalise et fait, « sur le fond, l’essentiel du chemin de la convergence ». Cette radicalisation a des « prémices anciennes » mais a été « impulsée par Nicolas Sarkozy » : « Le sarkozysme a déplacé le centre de gravité de la droite, qui était au centre-droit avec le gaullisme social du RPR et le christianisme social de l’UDF, vers une droite radicale, aux portes de l’extrême droite. »

Les auteurs évoquent une « rupture anti-humaniste » à travers les valeurs et estiment qu’il s’agit d’une « victoire idéologique pour le Front national » : « Que ce soit avec l’original lepéniste ou la copie sarkozyste, la xénophobie et le rejet de l’autre – l’altérophobie – triomphent désormais à droite. » Cela passe « par la recherche systématique de coupables, de boucs émissaires à désigner à la vindicte collective ». « Il y a toujours les bons citoyens à protéger et les mauvais à bannir hors de la communauté nationale. Il y a les jeunes “fainéants”, la “racaille” de banlieue, les “monstres” délinquants, les Roms qui sont des voleurs, les “assistés” qui abusent du système au détriment de “la France qui se lève tôt”, les fonctionnaires privilégiés », écrivent-ils.

Incarnation de cette « figure de l’autre » : l’immigré et notamment « le Français d’origine musulmane », présenté comme « mena(çant) notre mode de vie ». Le dernier quinquennat, du débat sur l'identité nationale à l’entre-deux tours de la présidentielle, en passant par le discours de Grenoble de juillet 2010, a fourni un grand nombre d’exemples. Quick hallal, burqa, piscines réservées aux femmes voilées, prières de rue, minarets qui agressent les paysages « français », « racisme anti-français » des musulmans, tout y est passé.

Sous la présidence Sarkozy, les (prétendus) « dérapages » sont l’apanage du gouvernement (sortant) et de l’UMP, et non plus du FN. Le rapport évoque « Brice Hortefeux, de sa saillie contre “les Auvergnats” (« Quand il y en a un ça va, c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes ») jusqu’à “la France n’est plus la France”, Chantal Brunel et son “remettons-les dans les bateaux”, Nadine Morano, pour qui les musulmans doivent se montrer “discrets” ou qui suspecte la porte-parole de campagne de François Hollande, Najat Vallaud-Belkacem, de faire prévaloir ses origines marocaines sur son identité française, Claude Guéant, intronisé “adhérent d’honneur du FN” par Marine Le Pen, pour l’ensemble de son œuvre : “le nombre de musulmans pose problème”, “immigration incontrôlée”, “toutes les civilisations ne se valent pas”, “les deux tiers des élèves en situation d’échec scolaire sont des fils d’immigrés” ».

La liste est longue, Mediapart l’avait dressée en novembre 2011 dans une enquête intitulée « Les mots du FN dans la bouche de l’UMP », puis dans notre BuissonScope, alimenté entre mai 2011 et février 2012. Mais le « principal moteur de cette dérive radicale » fut Nicolas Sarkozy lui-même. Son 
 « Si certains n’aiment pas la France, qu’ils la quittent », paraphrasant Jean-Marie Le Pen, son ministère de l’identité nationale et de l’immigration, ses débats sur l’identité nationale, la laïcité et l’islam, la binationalité, sa déclaration sur « les musulmans d’apparence »,ses transgressions durant la campagne d'entre-deux tours (par exemple lorsqu'il estime que Marine Le Pen est « compatible avec la République »). L’hebdomadaire Newsweek, en octobre 2011, le choisit d’ailleurs pour illustrer sa une sur la montée de l’extrême droite en Europe.
Pour les auteurs, « un axe “UMPFN” est né ». « La convergence idéologique est achevée », convergence que synthétise le Wall Street Journal dans un éditorial intitulé « Nicolas Le Pen ». Sarkozy opère la « synthèse » dans son discours de Toulouse, le 29 avril, centré sur la frontière (économique, sociale et culturelle) et la menace extrérieure.

Au-delà de cet « imaginaire commun » « populiste », il existe des passerelles au niveau programmatique. Certes, des différences importantes subsistent sur les questions économiques, notamment sur la sortie de l’euro que n’envisage pas l’UMP. Mais la jonction se fait « sur les questions sociales (la lutte contre l’assistanat) et culturelles (la défense des valeurs nationales) » : « l’altérophobie est le ciment idéologique de l’axe UMPFN » et elle est avant tout « une islamophobie », souligne le rapport. Les auteurs vont plus loin. Selon eux, la frontière telle que l'a conçue Nicolas Sarkozy « ne passe pas à l’extérieur de l’Hexagone mais bien à l’intérieur », entre « les “bons Français” et l’ivraie », « les “vrais travailleurs” et les profiteurs » et son identité nationale exclut « l’islam et la culture musulmane ».

Vers un « parti patriote »

A cette convergence idéologique se sont ajoutés des rapprochements humains au fil des années, via des personnalités qui « franchissent la digue » et « peuvent servir de vecteurs de rapprochement ». Quatre exemples :

– Dans les années 1970, l’Institut supérieur du travail (IST), créé par un ancien collaborateur, est « le pont principal » entre Occident et la droite parlementaire (Alain Madelin, Patrick Devedjian, Gérard Longuet).
 

– Le journal Minute sert de lieu de passage : Patrick Buisson, son ancien rédacteur en chef, est devenu le conseiller officieux de Nicolas Sarkozy et l’un de ses successeurs, Bruno Larebière, a appelé à voter pour Nicolas Sarkozy.
 

– L’UNI (Union nationale interuniversitaire) et le MIL (Mouvement initiative et liberté), fondés par Jacques Rougeot, un ancien de l’OAS, forment des activistes de la droite radicale depuis les années 1970.
 

– Dans le Sud-Est, des liens se tissent autour de la « Nostalgérie » et « les électeurs FN d’origine pied-noir y sont “fixés” politiquement par des maires de droite qui ont entretenu le souvenir de l’Algérie française », comme Jacques Médecin à Nice, Paul Alduy à Perpignan, Maurice Arreckx à Toulon.
Depuis dix ans, ces rapprochements « se sont accélérés » et « passent d’abord par le “sommet” », estiment les auteurs. Première illustration, le Mouvement pour la France (MPF) de Philippe de Villiers, véritable « sas » et « trait d’union » entre les deux familles politiques.

 C’est via le MPF que Guillaume Peltier rejoint l’UMP . Directeur national adjoint du Front national de la jeunesse, puis fondateur de « Jeunesse action chrétienté » au sein de la nébuleuse mégrétiste, il se recycle comme secrétaire général du MPF avant d’intégrer l’UMP, épaulé par Buisson, et de devenir porte-parole adjoint de Sarkozy pendant la présidentielle. Paul-Marie Coûteaux, ex-député européen MPF, fait le chemin inverse en devenant porte-parole de Marine Le Pen. Il fait aujourd'hui le lien avec les souverainistes (lire notre article sur les ponts entre les deux formations).

La politique de décoration de l’Elysée permet aussi « d’envoyer des signes et de créer des liens ». Nicolas Sarkozy a ainsi « multiplié les appels du pied aux plus radicaux des partisans de l’Algérie française afin de récupérer l’électorat pied-noir frontiste », comme Mediapart l’a raconté ici

Deux exemples : en novembre 2011, il remet la grand-croix de la Légion d’honneur à Hélie Denoix de Saint-Marc, officier putschiste de 1961. En mai 2011, il décore également (par décret) Jean-François Collin, membre de l’OAS et condamné à cinq ans de prison, qui déclare alors : « C’est une croix dédiée à tous les combattants de l’OAS fusillés par le plus grand traître de l’Histoire de France. »

Ces rapprochements humains entre UMP et FN passent surtout « par la base » et « la blogosphère en est le vecteur clé » : le blog de Christian Vanneste (député de la Droite populaire exclu de l’UMP), les sites de la mouvance traditionaliste catholique, les sites islamophobes comme gaullisme.biz ou insolent.fr. « L’agence de presse d’extrême droite Novopress valorise abondamment les prises de position des députés UMP radicaux. En sens inverse, le site 24heuresactu, animé par un militant UMP, affiche sa sympathie récurrente pour Marine Le Pen. Quant au site www.dumait.fr, il prône le rapprochement institutionnel UMP-FN », notent les auteurs.

Ils évoquent également Riposte laïque, « le principal creuset de l’axe UMPFN », qui « vise à mobiliser la laïcité contre la menace islamiste ». Cette revue en ligne a émergé lors de son fameux « apéro saucisson géant » en juin 2010 à la Goutte d’or. Six mois plus tard, elle réunit, avec le Bloc identitaire, un millier de personnalités issues de la droite et de l’extrême droite aux Assises de l’islamisation. Une sorte de « premier meeting commun UMPFN », estiment les auteurs.

Après la convergence idéologique et les rapprochements humains, « l’espace UMPFN » est prêt pour la troisième étape, la « convergence institutionnelle ». Les partis s’achemineraient vers un « parti patriote ». Côté FN, Marine Le Pen a exclu « tout accord entre partis » avec l'UMP, mais s’est déclarée, le 10 mai,  « pas fermée » à une « entente » et à des « discussions », « au cas par cas » aux législatives. Elle a aussi invité les « élus et électeurs de droite sincères », déçus de l'UMP, à rejoindre son « grand rassemblement ». Un micro-parti a été créé en ce sens : le SIEL (Souveraineté, indépendance et libertés).

Côté UMP, « deux courants servent de pointe avancée pour permettre la convergence institutionnelle avec le FN », explique le rapport. La « Droite populaire » de Thierry Mariani, 35 députés, essentiellement du Sud-Est, qui veulent incarner l’aile droitière de l’UMP. La « Droite sociale » de Laurent Wauquiez, qui s’attaque aux questions sociales sous l’angle de l’assistanat dépeint comme le « cancer de la société française ». Certains élus UMP, comme Christian Vanneste (devenu dissident), Jean-Paul Garraud ou Roland Chassain, sont déjà sortis du bois en évoquant un rapprochement ou une alliance avec le FN.

« Le moment du dénouement est encore incertain – dès les législatives de 2012 ou pour les échéances de 2017 – mais, incontestablement, la convergence institutionnelle est en route », concluent les auteurs, qui ont finalisé ce rapport début mai. Selon Jean-Yves Camus, joint par Mediapart, « l'UMP n'a pas encore explosé car la défaite de Nicolas Sarkozy n'a pas été d'ampleur suffisante. Cela a retardé l'échéance ». Mais il y a un « glissement sémantique » des élus et responsables UMP et les « encoches se multiplient » : « Combien y en aura-t-il aux municipales de 2014 ? »

Face à cette nouvelle droite, la gauche doit parler à l'électorat qui a fui vers le FN en empruntant des « voies progressistes », préconisent les auteurs : « sortir de la crise économique ; garantir la pérennité de la sécurité sociale, en y incluant la sécurité des biens et des personnes ; promouvoir la République exemplaire »

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