Sarkozy-Kadhafi :
l'Elysée
piégé par ses témoins
02 mai 2012 | Par
Fabrice Arfi
et Carine
Fouteau et Karl
Laske
Médiapart
A peine lancée, l’offensive judiciaire de l’Elysée contre Mediapart peut-elle tenir ? Les deux acteurs sur lesquels s’est appuyé Nicolas Sarkozy pour déposer sa plainte pour « faux et usage de faux », « recel de ces délits » et « publication de fausses nouvelles », après nos révélations sur les financements libyens en faveur de sa campagne en 2007, viennent tous les deux d’être mis en difficulté.
M. Bachir Saleh, le premier d’entre eux, recherché et désigné par une notice rouge d’Interpol, pourrait avoir pris la fuite, tandis que le second, Moussa Koussa, visé par des accusations de tortures, aurait fait l’objet au Qatar d’un chantage à l’expulsion vers la Libye s’il ne démentait pas nos informations.
Alors qu’une enquête préliminaire visant Mediapart a été ouverte par le procureur de la République de Paris, François Molins (lire notre communiqué au sujet de cette procédure inédite), une heure après le dépôt de plainte, Nicolas Sarkozy a été contraint, mardi matin, d’annoncer que « si M. Saleh est recherché par Interpol, il sera livré à Interpol ». François Fillon avait affirmé à tort, lundi, qu'il n'y avait « aucune trace d'un mandat international » visant l’ancien directeur de cabinet de Mouammar Kadhafi.
Bachir
Saleh
Grâce aux déclarations du président candidat sur RMC et BFM TV, M. Bachir Saleh, l’un des détenteurs des plus lourds secrets franco-libyens, a ainsi appris qu’il lui était sans doute souhaitable de prendre le large. En signalant que la police française arrêterait le fugitif si une notice Interpol avait été émise à son encontre – ce qui est connu depuis des mois… –, Nicolas Sarkozy a en effet offert au principal intéressé une invraisemblable occasion de s’enfuir.
Contactés par Mediapart dans l’après-midi du 1er mai, une dizaine d’heures après les propos de M. Sarkozy, les deux avocats de Bachir Saleh étaient de fait dans l’incapacité de dire où celui-ci se trouvait et se refusaient même à confirmer sa présence en France. Me Marcel Ceccaldi s’est montré pour le moins ambigu :
« Il se trouve là où il doit se trouver dans n’importe quel pays de l’espace Schengen. Je ne sais pas où il est actuellement. »
Même son de cloche du côté de Me Pierre Haïk :
« Je ne sais pas quelle est sa situation actuelle. Je ne peux rien confirmer. »
Etant l'un des plus proches collaborateurs de Mouammar Kadhafi, ancien dirigeant de l’un des fonds souverains libyens, le Libyan African Portfolio (LAP), au centre de tous les soupçons de financements occultes, Bachir Saleh a obtenu des autorités françaises, et du ministre de l’intérieur, Claude Guéant, une autorisation de séjour de trois mois. Et ainsi, en gage de réciprocité, M. Saleh a été le premier à démentir la note officielle libyenne révélée par Mediapart, visant à autoriser un financement de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, et dont il a été le destinataire.
Cette attitude ne doit rien au hasard. Malgré le mandat d’arrêt émis par la Libye et relayé par Interpol – il est recherché pour “escroquerie” –, la France a accueilli à bras ouverts Bachir Saleh. Il devrait faire l’objet, ces prochains jours, d’une plainte d’opposants politiques toubous réfugiés en France qui dénoncent son rôle dans l’espionnage dont ils ont été victimes et sa possible implication dans l’élimination de plusieurs d’entre eux.
«
Il est venu muni d'un visa visiteur »
L’ancien dignitaire richissime vit depuis plusieurs mois à Paris, sans être inquiété, passant de grands hôtels en palaces, selon plusieurs sources. Après son arrivée en France, il a également obtenu du Niger un passeport diplomatique, lui offrant une précieuse immunité.
Pour les autorités françaises, M. Saleh n’a jamais été un étranger comme les autres, y compris après l’intervention de l’Otan en Libye et la mort de Mouammar Kadhafi. Ses conditions d’entrée et de séjour en France révèlent de nombreuses incohérences et zones d’ombre et témoignent de l’étonnante liberté de circulation dont a bénéficié ce proche du dictateur déchu.
Son avocat, Me Ceccaldi, explique qu’après avoir quitté la Libye, en novembre 2011, son client s’est rendu à Djerba, en Tunisie, avant de rejoindre l’aéroport de Tunis où il s’est envolé pour Paris. « Tout cela s’est fait en 48 heures », indique-t-il avant de se reprendre : « Il n’est pas parti dans la précipitation, il ne faisait pas l’objet de poursuites en Libye » à ce moment-là.
De quelle autorisation était-il muni pour entrer en France ? « D’un visa visiteur », répond-il hésitant, « comme n’importe qui ». Sauf que les candidats à ce type de document particulièrement difficile à obtenir dans les pays africains attendent le plus souvent des semaines, voire des mois, avant de voir leur dossier généralement refusé par le consulat. « Bon, peut-être a-t-il passé quelques jours », concède son représentant. «Il est venu régulièrement», insiste-t-il plusieurs fois.
« C’est un visa Schengen qui lui permet d’aller dans n’importe quel pays de l’Union européenne », précise-t-il. « Ce qui est sûr aussi, c’est que ce n’est pas sa femme qui l’a fait venir », indique-t-il en référence à un article du Canard enchaîné daté de début avril évoquant un « regroupement familial ». Contraint de justifier sa présence sur le territoire français, le ministre de l’intérieur, Claude Guéant, avait alors fait savoir que l’ex-haut dignitaire avait bénéficié d’une autorisation provisoire de séjour de trois mois puisque
« sa famille réside en France ».
Sa femme étant franco-libanaise, qui vient d’être condamnée par le tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse (Ain) pour des faits d’“esclavage”, l’hypothèse du regroupement familial est néanmoins écartée étant donné que cette procédure concerne les étrangers vivant en France souhaitant faire venir leur conjoint et leurs enfants. L'autre possibilité est celle qui permet à des Français de « rapatrier » leur conjoint de nationalité étrangère.
Sollicité par Mediapart, le cabinet du ministre n’a pas répondu à nos interrogations.
« Il est venu avec un visa touriste », assure ensuite l’avocat de Bachir Saleh, alors que ce document est différent du visa visiteur évoqué plus tôt. Le premier est considéré comme un titre de long séjour, d’une durée supérieure à six mois, et suppose que la personne apporte la preuve qu’elle peut vivre de ses seules ressources, le second est délivré pour trois mois seulement, ce qui, dans ce cas de figure, signifierait qu’il est arrivé à expiration au cours du mois de février 2012.
«
Si vous démentez, nous sommes prêts à oublier certaines choses »
Martelant que son client n’a « jamais » bénéficié de protection policière, ce que plusieurs sources ont pourtant affirmé à Mediapart, confirmant les informations du Canard enchaîné, l’avocat estime que les conditions de séjour en France de Bachir Saleh « sont une question annexe » par comparaison avec le sort qui l’attend « si Paris le livre à la Libye ». « Vu la situation catastrophique dans ce pays où les droits de la personne humaine ne sont pas garantis, où la population de race noire est maltraitée, la France se déshonorerait en le remettant », répète-t-il.
Se sentant à ce point menacé dans son pays d’origine, pourquoi Bachir Saleh n’a-t-il pas déposé de demande d’asile en France, comme il y serait autorisé ? « C’est vrai, il aurait pu, mais il ne l’a pas fait parce qu’il ne s’attendait pas à une réaction de cette nature de la part des autorités françaises », indique l’avocat, reconnaissant implicitement un changement d’attitude par rapport à une bienveillance passée.
M.
Koussa© Reuters
L’autre acteur sur lequel Nicolas Sarkozy s’est appuyé pour poursuivre Mediapart est Moussa Koussa. Cet ancien patron des services secrets extérieurs libyens est l'auteur de la note sur le financement libyen de la campagne. Il se trouve actuellement dans une situation délicate au Qatar, où il est réfugié depuis son exfiltration de Libye (après un séjour à Londres), également supervisée par la France.
Dès samedi, nos révélations ont provoqué un branle-bas de combat au Qatar.
Le week-end de l'ambassadeur de France a été gâché par des rencontres avec les autorités qataries et l'entourage proche de l'Emir. Des discussions tous azimuts ont été menées entre Paris, Doha et Tripoli.
Enjeu : convaincre Moussa Koussa de démentir notre document. Selon nos sources confidentielles au Qatar, cela n'a pas été facile, sans doute parce que Moussa Koussa est bien placé pour connaître l'authenticité de ce document dont il est le signataire.
C'est pourquoi les nouvelles autorités libyennes ont été sollicitées.
« Si
vous démentez, nous sommes prêts à oublier certaines choses » :
tel fut, en substance, le message transmis de leur part à Moussa
Koussa, l'un des cinq hommes clés du régime de Kadhafi, par
ailleurs soupçonné d'implication dans des faits de torture. En
revanche, si Moussa Koussa ne cédait pas, on lui promettait la fin
des protections dont il bénéficie et une expulsion immédiate
vers la Libye. « Cela a chauffé », dit l'une de
nos sources, proche de la famille régnante.Car, ajoute la même source, l'enjeu d'une réélection de Nicolas Sarkozy est très important pour le Qatar qui redoute une élection de François Hollande pour l'avenir de ses affaires en France. Les immenses avantages fiscaux obtenus de Nicolas Sarkozy, ainsi que les facilités pour entrer ou monter au capital de sociétés françaises, pourraient disparaître en cas de victoire de la gauche.
C'est pourquoi les autorités qataries ont relayé la pression française sur
Moussa Koussa qui aurait tout à craindre d'un renvoi vers la Libye.
à suivre
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