jeudi 26 avril 2012


Relance :
 L'Europe se rapproche des positions de F.Hollande

25 avril 2012 | Par Ludovic Laman
Médiapart

« Vous savez bien que Mariano Rajoy n'attend qu'une chose : que François Hollande soit élu, pour tenter d'assouplir un peu les objectifs budgétaires de l'Espagne… », glisse dans un sourire Juan López Aguilar, un ancien ministre sous Zapatero, aujourd'hui eurodéputé socialiste. Le chef du gouvernement espagnol est pourtant un conservateur pur jus, et soutien officiel de Nicolas Sarkozy.

Mais le discours du candidat socialiste, qui veut rééquilibrer rigueur et relance sur le continent et renégocier le traité européen dit «pacte budgétaire», 

trouve désormais de plus en plus de relais à Bruxelles,
 par-delà les familles politiques

Alors que l'Union affichait, en février, un taux de chômage record, à plus de 10 %, certains commencent à se demander si elle ne s'est pas engagée “trop fort, trop vite” sur la voie de la rigueur, selon les vœux du couple franco-allemand. La partie, pour François Hollande, était pourtant loin d'être gagnée.

En décembre 2011, lorsqu'il promet de renégocier le pacte budgétaire d'Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy, l'élu de Corrèze suscite au mieux, amusement, au pire, des rires gênés chez les fonctionnaires européens.

 Quatre mois plus tard, 
son créneau est devenu l'une des priorités de l'agenda européen.  

Tout se passe comme si le candidat socialiste avait réussi à anticiper ce débat crucial sur les vices du “tout austérité”, renforçant sa crédibilité en Europe à peu de frais.
Mario Draghi.  
Mario Draghi. © (Reuters)

Mercredi, la surprise est venue de Mario Draghi, le patron de la Banque centrale européenne (BCE). Invité devant le Parlement européen, il a plaidé pour un « pacte de croissance »: « Nous avons un pacte budgétaire (...) Nous devons revenir en arrière et en faire un pacte de croissance », a déclaré celui qui avait pourtant inventé, et imposé, en novembre 2011, l'expression de « pacte budgétaire ».

François Hollande a aussitôt rebondi sur cette déclaration. «M. Draghi vient lui même de dire que le pacte budgétaire devait être complété par un pacte de croissance. Cela confirme bien l'engagement que j'avais pris. Le président de la BCE va être utile. Il l'est», a déclaré mercredi après-midi le candidat socialiste. «Aujourd'hui, beaucoup de chefs d'Etat et de gouvernement attendent le résultat de l'élection française pour faire autrement (...) L'élection française va être une élection décisive pour l'Europe», a-t-il ajouté.

Le candidat socialiste se dit persuadé qu'«il y a une prise de conscience qui va bien au delà de la gauche européenne, de responsables parfois conservateurs et qui disent "Ce n'est plus possible de continuer comme ça sinon ce sont les populismes qui vont l'emporter". L'Allemagne doit comprendre que la croissance est nécessaire».

Comment en est-on arrivés là ? Après avoir applaudi dans l'ensemble au « fiscal compact », les dirigeants européens, majoritairement à droite, se sont rendu compte que leurs objectifs de réduction des déficits étaient bien trop ambitieux pour être tenus. 

Le premier coup de griffe contre les projets trop austères de “Merkozy” remonte à février, lorsque douze chefs d'Etat et de gouvernement ont expliqué, dans une lettre conjointe, que l'Europe devait davantage donner confiance dans sa capacité à 
 « générer une croissance économique forte et durable ».

En mars, c'est au tour de l'Espagnol Rajoy, en poste depuis trois mois à peine, de tirer la sonnette d'alarme, réclamant à la Commission, non sans maladresse, un peu d'oxygène. Sans grand effet. Mi-avril, l'Italien Mario Monti, pourtant présenté par beaucoup comme le meilleur élève de la classe, fait savoir que lui non plus ne parviendrait à tenir les objectifs de déficit cette année, malgré la batterie de réformes structurelles engagées.
La Une de mercredi du «NRC Handelsblad» 
La Une de mercredi du «NRC Handelsblad»

Lundi, nouveau rebondissement dans le feuilleton de la crise européenne : la coalition au pouvoir aux Pays-Bas, l'un des quatre derniers pays encore notés “triple A” par les agences au sein de la zone euro, a volé en éclats. Le premier ministre, le libéral Mark Rutte, a présenté à la reine sa démission, incapable de trouver une majorité qui consentirait à adopter, au Parlement, les 14 à 16 milliards d'euros d'économies nécessaires d'ici 2013.

 

La Commission arrondit les angles


Le parti xénophobe de Geert Wilders, s'il n'est pas au gouvernement, soutenait jusqu'à présent l'exécutif au sein de l'assemblée. Mais il a refusé de défendre l'austérité annoncée, provoquant une crise politique. Des élections anticipées pourraient se tenir dès septembre. L'affaire est d'autant plus symbolique que les Pays-Bas sont l'un des principaux soutiens d'Angela Merkel lorsqu'il s'agit de défendre l'austérité à Bruxelles.
C'est donc une bonne partie de la stratégie de sortie de crise de l'euro qui pourrait être à revoir, alors que s'annonce le second tour de l'élection française. Le pacte budgétaire est tout simplement en train de partir dans le fossé, constate le Guardian britannique, dans un édito de début de semaine. 

 « Tandis qu'Angela Merkel est engagée dans une course contre la montre pour faire ratifier ses mesures d'austérité en Europe (...), la politique intérieure de plusieurs Etats membres clés en Europe est en train de prendre la direction opposée. »

La crise hollandaise constituerait d'ailleurs une très bonne nouvelle pour François Hollande, selon le blog d'un journaliste néerlandais en poste dans la capitale belge, car « la donne au niveau du Conseil risque de changer. Avec notamment la fin de la ligne dure des Néerlandais à Bruxelles ». 
 Au même moment, la République tchèque qui, elle, avait refusé, avec la Grande-Bretagne, de signer le “pacte budgétaire” début mars à Bruxelles, connaît également une situation tendue : le gouvernement va devoir solliciter la confiance du Parlement, après l'éclatement lundi de la coalition de droite. Motif là encore : un programme de rigueur budgétaire musclé, à l'origine de manifestations dans le pays.

Bref, les exécutifs prônant l'austérité sont malmenés un peu partout en Europe, et les crises politiques se multiplient. Si bien que la Commission européenne, consciente du malaise, tente de mettre un peu d'eau dans son vin. Tout en restant inflexible sur le calendrier à tenir des objectifs budgétaires, elle se met désormais à reparler de croissance, relance et emploi.
Le commissaire Andor. 
 Le commissaire Andor.

Le commissaire hongrois Laszlo Andor, un socialiste au sein de l'exécutif, a ainsi présenté le 18 avril une longue “communication”, c'est-à-dire la position de l'institution, en matière de création d'emplois. « Les taux de chômage actuels dans l'Union sont spectaculaires et inacceptables, et la création d'emplois doit devenir une vraie priorité européenne », s'est-il justifié. 

Sans doute plus décisif, les lignes semblent, doucement, commencer à bouger à Berlin. Alors que l'Allemagne risque, en cas de victoire de François Hollande, de se trouver extrêmement isolée sur la scène européenne, un débat, encore très circonscrit, est en train de naître sur le rôle de la Banque centrale européenne dans la crise des dettes souveraines.
D'ailleurs, Angela Merkel a, elle-aussi, aussitôt réagi aux propos de Mario Draghi sur la relance, faisant mine d'approuver l'idée de nouveau pacte avancée par le patron de la BCE. «Nous avons besoin de croissance, de croissance sous forme d'initiatives pérennes, pas juste de programmes de conjoncture - qui creuseraient encore la dette publique - mais de croissance comme Mario Draghi l'a dit aujourd'hui, sous forme de réformes structurelles», a déclaré la chancelière. 

Mais elle a aussi clairement délimité ce que pourrait être ce pacte: des réformes du marché du travail, des "charges salariales pas trop élevées", mais pas de déficit budgétaire supplémentaire.

Les cinq instituts allemands qui conseillent le gouvernement ont fait état, en fin de semaine dernière, de divergences sur le dossier. Deux d'entre eux plaident pour un mécanisme qui permettrait à la Banque centrale de garantir « en dernier ressort » une partie de la dette des Etats de la zone euro. Une révolution pour des Allemands qui ont longtemps estimé que ce genre de mécanismes découragerait les pays endettés à réaliser les efforts nécessaires.
Interrogé par Mediapart sur le sujet, l'ex-premier ministre belge Guy Verhofstadt, défenseur de longue date de l'émission d'une dette européenne, s'est réjoui de cette amorce de débat outre-Rhin :
 « Un clivage est apparu en Allemagne, et c'est évidemment bon signe. »

 

A Berlin : « Nous pouvons changer la rhétorique » du traité

Dans ce contexte, la déclaration d'un député de la CDU (droite, au pouvoir), Andreas Schockenhoff, n'est pas passée inaperçue, puisque l'élu, vice-président de son groupe au Bundestag, n'a pas exclu, lundi, une renégociation du traité européen… 

 « S'il y a des renégociations, elles doivent être menées très rapidement », a-t-il jugé, avant de préciser : « Nous ne pouvons pas changer la substance, mais la rhétorique. Nous pouvons y mettre un beau paragraphe sur la croissance (…) Comme ça, Hollande pourra dire chez lui : “J'ai fait en sorte que le pacte budgétaire traite de croissance”.»

Le ministre belge des affaires étrangères, Didier Reynders (libéral), a lui aussi estimé, en début de semaine à Luxembourg, qu'il serait possible d'ajouter un texte sur la croissance et l'investissement au traité budgétaire. Et pour ne pas perdre pied dans ce débat sur la relance, qui tourne au désaveu cinglant de la stratégie européenne du président Nicolas Sarkozy, le Français Joseph Daul, président du groupe PPE (droite) au Parlement européen, s'est tout de même fendu d'une lettre à la Commission européenne, mardi, dans laquelle il donne, lui aussi, ses recettes pour « relancer nos économies ».

« Notre message, c'est de dire qu'il y a bien deux volets à tenir : le premier, imposé par les Allemands, à juste titre, est l'austérité, et l'autre, c'est la relance », résume Antoine Ripoll, à la présidence du Parti populaire européen. « Mais il ne faudrait pas penser que, parce que la pression des marchés sur les Etats se relâche un peu, nous pourrions nous permettre de revenir sur les objectifs de déficits budgétaires. Il n'est pas question de se lancer dans une relance keynésienne comme le préconisent les socialistes… »
François Hollande, mercredi. 
François Hollande, mercredi.

En attendant, François Hollande, élu corrézien que l'on pensait en mal de crédibilité en Europe, a réussi un joli coup politique. Il est parvenu à préempter l'agenda bruxellois. Mais rien n'est réglé pour autant. Au-delà du concept consensuel (la relance et la création d'emplois), les réponses apportées par les uns et les autres divergent assez nettement.
Sur ce point, le candidat socialiste a précisé ce mercredi, lors d'une conférence de presse, ce qu'il entendait précisément par une initiative de relance. Il a annoncé qu'aussitôt élu, il adresserait aux partenaires européens un «memorandum en quatre points»:

Le premier porte sur la création d'eurobonds pour financer des «projets industriels et d'infrastructures»; le deuxième demande de mobiliser davantage de financements de la Banque européenne d'investissement (BEI); le troisième est de créer une taxe sur les transactions financières «avec tous les pays qui le souhaitent» ; le quatrième est de mobiliser les fonds structurels aujourd'hui non-utilisés pour des investissements.
«Tout mon engagement s'est construit autour du projet européen, a ajouté François Hollande, mais autour d'une Europe de solidarité, de protection et de progrès. C'est pour cela que dès l'automne dernier j'ai annoncé que je renégocierai le traité».  

Le lent basculement de l'Europe vers ses positions laisse Nicolas Sarkozy en difficulté, lui qui, ces derniers mois, s'était posé en sauveur de la zone euro, et fait depuis valoir son «expérience». !



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