samedi 28 avril 2012


L'affairisme sous Sarkozy :
la preuve par le FSI


27 avril 2012 | Par Laurent Mauduit
Médiapart 

Quiconque veut prendre la mesure du bilan des interventions de Nicolas Sarkozy dans la vie des affaires peut avantageusement prendre le Fonds stratégique d’investissement (FSI) comme champ d’étude. Car l’histoire du FSI recèle de nombreux secrets, que Mediapart s’est appliqué à percer. Et les résultats de notre enquête sont accablants : en d’innombrables cas, l’Elysée a fait pression sur le fonds pour qu’il apporte des financements publics à des obligés du Palais ou des hommes d’affaires dont Nicolas Sarkozy s’était tout bonnement entiché.

D’ordinaire, dans le débat public, on ne retient du rôle de Nicolas Sarkozy dans la vie des affaires que ses activités de fondé de pouvoir du capitalisme du Fouquet’s. En clair, ce sont ses interventions les plus visibles au profit des plus grandes fortunes qui alimentent la controverse : son scandaleux coup de pouce au profit de Serge Dassault pour que son groupe puisse croquer à vil prix le groupe stratégique Thales ; les cadeaux faits au milliardaire belge Albert Frère et à son complice et associé le milliardaire canadien Paul Desmarais lors de la fusion GDF-Suez ou dans l’affaire Eiffage…

Mais du FSI, on ne parle que très peu. Ou si la presse évoque parfois le fonds, c’est le plus souvent à titre de contre-exemple : pour souligner que Nicolas Sarkozy a au moins eu l’idée intelligente de créer cette structure pour tenter de protéger des PME françaises innovantes ou stratégiques des appétits des marchés et de la spéculation.

Et Nicolas Sarkozy a tout fait pour entretenir cette légende.


Lors du troisième anniversaire du FSI, il a ainsi réuni de nombreux patrons à l’Elysée, le 17 novembre 2011, faisant grief au FSI de s’écarter de ses missions fondatrices et de copier les mœurs délétères des fonds spéculatifs anglo-saxons. « Si le FSI se doit d'être un investisseur avisé, et donc de rentabiliser ses investissements, je souhaite qu'il soit un investisseur au service de l'intérêt général. Nous n'avons pas besoin d'un hedge fund de plus – il y en a assez – avec des exigences de rentabilité et de dividendes délirants ! » a-t-il claironné lors de son allocution (elle peut être consultée ici dans sa version intégrale).

La vérité est, pourtant, totalement à rebours de ce qu’a suggéré ce jour-là le président sortant : ce n’est pas lui qui a joué un rôle vertueux en rappelant à l’ordre le FSI, de sorte que ce dernier ne copie pas les pratiques parfois sulfureuses des fonds hautement spéculatifs ; 

c’est à l’inverse le FSI qui, sans pouvoir le clamer sur les toits, a pendant près de trois ans fait de la résistance pour s’opposer aux pressions ou aux intimidations de l’Elysée.

 Soit en différant ou en repoussant des projets dispendieux défendus par le chef de l’Etat. Soit, quand les pressions étaient trop fortes, en prenant mille et une précautions pour qu’au moins l’argent public soit sécurisé et ne parte pas en fumée.

Le voici le vrai secret du FSI 

créé par le chef de l’Etat, il est en fait entré discrètement en dissidence. Et son histoire se confond avec d’innombrables tensions et coups de gueule avec la présidence de la République.  
C'est en quelque sorte le monde à l'envers : alors que des personnalités du privé ont été placées à des postes de commandement du FSI pour décider de l'affectation de fonds publics – ce qui était choquant –, c'est malgré tout le FSI qui a rappelé en plusieurs circonstances à la puissance publique ce qu'était... l'intérêt général.

Cette histoire secrète et très révélatrice de ce qu’a été le pouvoir sarkozyste, Mediapart a eu beaucoup de mal à la reconstituer. Mais grâce à des témoignages de parlementaires, y compris de l’UMP, et de hauts fonctionnaires de Bercy, choqués par les interventions intempestives de l’Elysée – mais pas seulement –, nous sommes parvenus à reconstituer un florilège des plus folles histoires dont le FSI a été le théâtre ces derniers mois, celles qui ont abouti ou celles qui, pour finir, se sont enlisées. 

Là aussi, on y croise des figures éminentes du capitalisme du Fouquet’s mais pas seulement…


    20 millions d’euros pour faire plaisir à Serge Dassault. 
Mis à part dans le Canard enchaîné (28 juillet 2010) et la presse spécialisée, l’affaire Altis n’a pas fait les gros titres de la grande presse – et évidemment pas ceux du Figaro

Et pourtant, c’est un tort. Car elle a été un véritable casse-tête pour le FSI quasiment pendant toute l’année 2010 et début 2011. Et elle est très illustrative des méthodes utilisées par l’Elysée tout au long du quinquennat, tendant à considérer le FSI comme étant “sa” chose, et qu’il pouvait lui tordre le bras à sa guise pour investir des fonds publics où bon lui semble.

Spécialisée dans les semi-conducteurs, la société Altis aurait pu péricliter en 2010 ou être vendue, sinon même fermer ses portes, au risque que ses 1 400 salariés ne se retrouvent sur le carreau. Confrontée à de graves difficultés économiques, elle traverse de surcroît de violentes turbulences car ses deux principaux actionnaires, Infineon et IBM, qui sont aussi ses deux seuls clients, veulent se retirer.

Seulement voilà ! Altis a une chance inouïe. Un pur hasard : il se trouve que la société est implantée à Corbeil-Essonnes, ville dont le milliardaire, propriétaire du Figaro et sénateur UMP, Serge Dassault, a été le maire depuis 1995, avant que l’élection municipale ne soit invalidée le 8 juin 2009 par le Conseil d’Etat au motif que, pendant la campagne, des dons d’argent à des habitants ont été effectués, « de nature à altérer la sincérité du scrutin ».
Corbeil-Essonnes, c’est le fief politique de Serge Dassault, son pré carré, sur lequel il veille jalousement. Le milliardaire et ami de Nicolas Sarkozy ne veut donc pas qu’une société aussi importante pour sa commune qu’Altis soit condamnée. 

Mais dans le même temps, même s’il y est disposé, le milliardaire ne peut mettre de l’argent de sa poche : après l’invalidation dont il a fait l’objet, précisément pour avoir pris de l’argent dans sa poche pour arroser sa ville, ce serait prendre un trop grand risque.
Serge Dassault a donc l’idée d’entrer en contact avec Yazid Sabeg, qui est haut-commissaire à la diversité et à l’égalité des chances, mais qui est aussi le patron d’une importante société, Communication et Systèmes, intervenant sur le même secteur qu’Altis et pouvant être intéressée à en prendre le contrôle, à la condition d’une opération de “downsizing” comme on dit dans le jargon financier – en clair de réduction de périmètre.

Yazid Sabeg juge que l’opération industrielle est intéressante, mais ne veut pas financièrement en prendre le risque. Pour apporter 40 millions d’euros à Altis, il fait donc un emprunt obligataire auquel souscrit… Serge Dassault. Magique ! C’est l’avionneur et marchand d’armes qui est à la manœuvre, mais publiquement cela ne se voit pas.
Il y a un second “hic” : c’est que les 40 millions d’euros en question ne suffisent pas. Quand il signe le protocole d’acquisition, Yazid Sabeg veille donc à y faire figurer une clause suspensive : l’opération ne sera finalisée qu’à la condition que… le FSI – nous y voilà – y soit associé !

Or, le FSI ne veut pas, dans un premier temps, en entendre parler. Jugeant que l’opération est financièrement risquée, que la société Altis ne dispose pas d’un “business plan” cohérent, et que Yazid Sabeg ne vient pas avec un co-investisseur, le fonds rechigne. Selon une très bonne source au ministère des finances, cela s’est à l’époque très mal passé. Eclats de voix, intervention de l’Elysée mais aussi du ministre de l’intérieur Claude Guéant : en haut lieu, on a très mal compris que le FSI ait l’insolence de rechigner à apporter de l’argent à une opération voulue par Serge Dassault, un si proche ami du chef de l’Etat.

Le FSI s’en tient ainsi à l’époque à la stratégie pour laquelle il opte quand il pressent que les pressions seront trop fortes : il cède mais en veillant au mieux à sécuriser l’argent public. Les négociations traînent en longueur – plus d’un an au total –, mais le fonds obtient gain de cause sur ses demandes. Le “business plan” de l’opération est musclé ; un co-investisseur est trouvé, en la personne du fonds Qatari Diar qui apporte aussi 30 millions d’euros. Finalement, le FSI apporte lui aussi 20 millions d’euros, mais sous la forme d’obligations convertibles, ce qui là encore limite le risque de pertes.

Dans les archives du Figaro, on ne trouve pas grand-chose sur cette opération assez atypique. Mais la rumeur dit que, après s’être beaucoup agacé des réticences du FSI, Serge Dassault est maintenant aux anges. On le serait à moins…


Des pressions élyséennes pour aider l’ami Joël Seché.


Le patron du groupe Séché Environnement (troisième acteur français de l’environnement, présent à la fois dans l'eau et les déchets), Joël Seiché, est un ami personnel du chef de l’Etat. Nicolas Sarkozy a tenu à ce que cela se sache. Publiquement, il en a donc donné de nombreux gages. Le 20 octobre 2011, Nicolas Sarkozy est ainsi venu rendre visite à son ami, à Changé dans la Mayenne, pour inaugurer une nouvelle installation, comme le site Internet de la société s'en glorifie.

Et à peine quelques mois plus tard, le 16 février 2012, il est revenu au même endroit, pour de nouvelles effusions (vidéo ci-dessous) au cours desquelles les deux amis ont célébré en public la naissance de la fille du candidat sortant. Touchant, n’est-ce pas ?
 Avant cela, Joël Séché avait déjà été distingué en recevant la Légion d’honneur.!!!


 
Les effusions entre Sarkozy et Seiché par Mediapart



Le FSI n’aurait-il pas compris qu’on ne refuse rien à un ami du président ? 

Cela lui a valu, en tout cas, une cascade d’ennuis ces dernières années.
  L’histoire commence voilà cinq ans quand Joël Seiché, à la suite du retrait du fonds PAI, devient le principal actionnaire de la Saur (le numéro trois français de l’eau), avec la possibilité à terme de faire jouer une option lui permettant de monter encore au capital, de 33 % à 51 %, et d’en détenir la majorité, en reprenant les parts (18 % du capital) détenues par la Caisse des dépôts et consignations (CDC) – parts transférées en 2009 par la CDC au sein du FSI, sa filiale.

Au début de 2012, l’histoire s’accélère parce que d’un seul coup, Joël Seché est pressé. Désireux de croquer une entreprise qui est en réalité trois plus grosse que la sienne mais sans disposer des moyens financiers pour y parvenir, il sait de surcroît que l’éventuelle alternance risque de compliquer les choses. Car un nouveau président pourrait ne pas avoir pour lui les mêmes attentions que Nicolas Sarkozy. Or, les échéances ont été prévues lors du retrait de PAI : Joël Séché a jusqu’au 27 mai pour faire jouer son option. Son mandat de président de la Saur, dont il a aussi hérité, arrive d’ailleurs à échéance au même moment.

Sans les moyens financiers de ses ambitions, Joël Seché soumet le FSI a une formidable pression, pour pouvoir faire jouer l’option de rachat, mais à prix cassé. En clair, il demande que le prix prévu par l’option soit très fortement minoré. Le FSI, lui, résiste à bon droit. Considérant qu’il est gardien de l’argent public, il fait valoir qu’une option d’achat n’est pas une option de… cadeau. De surcroît, une clause prévoit qu’en cas de changement de contrôle de la Saur, les banques, qui détiennent de considérables créances sur la société, peuvent en exiger immédiatement le remboursement.

Ce qui rend le FSI justement d’autant plus inflexible : il fait valoir que sa volonté de prendre la majorité de la Saur va coûter très cher à l’actionnaire public et que celui-ci a donc d’autant moins de raison de lui rétrocéder ses titres en les bradant.
Cette position, pourtant justifiée du FSI, a le don de déclencher une violente colère du chef de l’Etat, qui charge son obligé Eric Besson, ministre de l’industrie de son état, de forcer la main du FSI. Trois réunions sont ainsi organisées par le directeur de cabinet d’Eric Besson, dans le souci d’amener le FSI à la raison… élyséenne, et de faciliter la prise de contrôle de la Saur par Seché.

Peine perdue ! Cette fois-là, l’Elysée a perdu la partie 
car le FSI a tenu bon
. L’échéance du 27 mai va donc arriver sans que Joël Seiché ait fait jouer son option. Le 17 avril, le FSI s’est même permis de publier un communiqué public (il est ici) qui prend des allures de camouflet pour l’Elysée car il s’applique à rappeler ce que sont les principes qui guident l’intérêt général : 

 « L’argent public mis à la disposition du FSI sert au développement des entreprises, non à servir des intérêts particuliers. »

La morale de l’histoire, c’est le site d’information financière Wansquare (19 avril 12), pourtant peu réputé pour son hostilité aux milieux d'affaires, qui la tire :

 « Certains aimeraient faire croire que le groupe Caisse des dépôts et son bras armé, le Fonds stratégique d'investissement, ne respecteraient pas leur parole dans cette affaire. Mais où serait-il écrit, dit ou considéré comme acquis, qu'un actif détenu indirectement par l'Etat puisse être privatisé pour rien ? »



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