jeudi 25 novembre 2010

Nicolas Sarkozy: «A Jacques Servier, 

la nation reconnaissante

 

 «La nation vous est reconnaissante de ce que vous faites. 

Vous êtes une publicité vivante pour les médicaments 

Servier parce que, franchement, l'âge n'a absolument

aucune prise sur vous. Je dirais même que par

une certaine coquetterie, vous rajeunissez Jacques. 

C'est extrêmement énervant!»


On savait que les médicaments Servier pouvaient avoir des effets sur le cœur, on découvre qu'ils ont aussi des vertus régénératrices... Les sirops Servier, nouvelle eau lustrale ? Les propos reproduits ci-dessus sont tirés d'une allocution (le texte complet est à lire sous l'onglet «Prolonger» de cet article) prononcée le mardi 7 juillet 2009 à l'Elysée

par le président de la République à l'adresse de Jacques Servier,
patron du laboratoire qui a produit le Mediator.


Ce jour-là, Jacques Servier, âgé de 87 ans mais manifestement en pleine forme, reçoit les insignes de  

grand-croix de la Légion d'honneur, des mains de Nicolas Sarkozy,
qui s'adresse à lui comme à un ami proche :

« Je me souviens de notre première rencontre en 1983. C'était déraisonnable, c'est là que je vois que vous êtes enthousiaste, vous pensiez déjà à l'époque que je serais président de la République. Incorrigible Jacques Servier ! Vous êtes un personnage hors du commun. Votre ascèse et votre sobriété forcent le respect de tous. Mais je ne veux pas faire votre portrait, comme on croque quelqu'un à distance. Je vous connais trop bien pour cela. »

Nicolas Sarkozy n'y va pas avec le dos de la cuillère-doseuse pour complimenter son « cher Jacques », qualifié d'«homme de santé et de recherche », formé à l'école de Pasteur et des « nombreux prix Nobel dont notre pays peut s'enorgueillir ».

Jacques Servier est si touché par l'allocution de son ami président
qu'il la fait reproduire in extenso sur le site de son groupe.

Il serait de mauvais goût de rappeler qu'au moment où le président de la République prononce ce vibrant éloge, au CHU de Brest, le docteur Irène Frachon s'efforce d'évaluer le risque de valvulopathie cardiaque induit par la prise de Mediator, le médicament Servier commercialisé en 1976 et qui ne sera retiré du marché qu'en novembre 2009, malgré les nombreux signaux inquiétants survenus depuis 1999 (voir nos deux précédents articles en cliquant ici et ici).
Non seulement ce serait de mauvais goût, mais ce serait le signe d'un esprit à courte vue. Le président de la République, qui sait de quoi il parle puisqu'il connaît parfaitement ce « grand Français » qu'est Jacques Servier, a reconnu en lui un « visionnaire », un « entrepreneur comme la France en compte peu », grâce à qui « notre pays peut saluer une industrie de classe mondiale », privilège
« réservé à moins d'une dizaine de pays dans le monde ».

Le discours de Sarkozy nous apprend aussi, ce qu'on ne savait pas forcément, que le président de la République a personnellement « joué un rôle » dans la grande aventure industrielle de Servier. Jacques Servier a fait de son groupe une fondation, statut grâce auquel « tous les résultats du groupe sont redistribués dans la recherche ».
Cette dernière affirmation est un tout petit peu exagérée si l'on en croit Le Figaro:

« Le laboratoire, qui ne publie pas ses comptes, est détenu par une fondation créée par Jacques Servier. Un moyen de consacrer 25% de ses revenus, beaucoup plus que ses concurrents, à la recherche et au développement. Comme eux, le groupe multiplie depuis quelques années les partenariats avec les sociétés de biotechnologie françaises et étrangères et les instituts publics.»
Jacques Servier semble avoir un goût pour les fondations : outre celle qui détient son groupe, il s'est associé à la fondation Prometheus, qui associe une dizaine d'entreprises et dont l'objet est de « contribuer à l'analyse des enjeux de la mondialisation, de  concourir à la paix économique et à la transparence des échanges pour la participation à l'élaboration de politiques publiques et la promotion de la recherche stratégique ». On retrouve la vision planétaire de Jacques Servier, surtout lorsqu'on découvre, parmi les entreprises à l'origine de ce projet prométhéen, Alstom, Areva, Dassault, EADS et Thales...

La mairie de Neuilly et le cabinet d'avocats

Concrètement, l'activité de Prometheus consiste, entre autres, à établir chaque année un « Baromètre de transparence des ONG » qui donne une note de 1 à 10 aux organisations non gouvernementales. Par exemple, en 2009, Prometheus a attribué la note 1/10 à la Criirad (association d'expertise indépendante sur le nucléaire), 2/10 à Négawatt (association qui plaide pour les économies d'énergies) et à « Ecologie sans frontières », 4/10 à Attac et 5/10 à Greenpeace, mais 10/10 à Médecins du monde...
Au passage, le représentant du groupe Servier au sein de Prometheus est Christian Bazantay, secrétaire général du groupe Servier et ami de longue date du président de la République. Mais comment ce dernier a-t-il connu Jacques Servier ? En 1983, tout jeune avocat, âgé de 28 ans, Nicolas Sarkozy entre au cabinet de Me Guy Danet, bâtonnier.
La même année, il est élu maire de Neuilly (un cumul de fonctions autorisé par la loi). Sarkozy apprend le métier d'avocat d'affaires, à l'école de Danet, un grand bâtonnier dont le cabinet est sis près du parc Monceau et qui est, entre autres, l'avocat de Paris Match. Le futur président développe son réseau, notamment grâce aux relations qu'il peut nouer dans les milieux huppés de Neuilly. Or, le groupe Servier est installé à Neuilly depuis 1954.
En 1987, Nicolas Sarkozy quitte Guy Danet et crée son propre cabinet, avec deux associés, Arnaud Claude et Michel Leibovivi (aujourd'hui décédé). Sa carrière d'avocat lui permet de développer ses relations dans le monde des affaires, comme le racontent Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot dans leur livre enquête Le Président des riches (accessible sur le site Zones).

Lorsque Martin Bouygues succède à son père à la tête du groupe familial, en septembre 1989, il choisit Nicolas Sarkozy pour être son avocat et celui de TF1. En 1993, Sarkozy devient ministre du budget et porte-parole du gouvernement d'Edouard Balladur. Il ne peut plus, alors, légalement exercer sa profession d'avocat. Mais son associé Arnaud Claude lui garde la place au chaud. Après son passage à Bercy, et après avoir soutenu Edouard Balladur lors de l'élection présidentielle de 1995, Nicolas Sarkozy connaît une traversée du désert politique et revient à son cabinet d'avocats. Son échec ne l'empêchera pas d'apporter de nouveaux clients au cabinet : le groupe pharmaceutique Servier, Bernard Arnault et LVMH, ainsi que des vedettes du showbiz.
Grâce à un carnet d'adresses considérablement étoffé, Nicolas Sarkozy continue d'entretenir des relations proches avec une pléiade de PDG : outre Martin Bouygues, parrain d'un de ses fils, on peut citer Jean-Claude Decaux, Franck Riboud, Philippe Charrier, de Procter et Gamble, Jean-Marc Espalioux, du groupe Accor... et, comme on l'a vu, Jacques Servier ainsi que l'un de ses principaux lieutenants, Christian Bazantay. Il connaît bien aussi Michel-Edouard Leclerc, Philippe Bourguignon, Daniel Bouton, Thierry Breton, Jean-Cyril Spinetta.

Pendant ses années ministérielles, Nicolas Sarkozy a dû renoncer à sa robe d'avocat. Cependant, une disposition prise en 2001 sous le gouvernement Jospin permet aux membres d'une « société d'exercice libéral par actions simplifiées » (Selas) de maintenir le nom d'un avocat en état d'omission sur la raison sociale du cabinet et de lui verser ses honoraires sous forme de dividendes.

Dès 2002, le cabinet Arnaud Claude-Nicolas Sarkozy se transforme en Selas.

 Élu président de la République le 6 mai 2007, Nicolas Sarkozy renonce à ses dividendes et fait modifier la raison sociale de son cabinet, qui devient « Arnaud Claude et associés ». Il n'en possède pas moins toujours 34% des actions, sur lesquels il perçoit un loyer dont le montant n'est pas public.
Mais avec son « cher Jacques » Servier, ce n'est pas une question d'argent, mais d'amitié et de fidélité entre le président de la République et un médecin doué d'une « conception profondément humaine de (son)métier ». C'est bien sûr en vertu de cette humanité que Jacques Servier a déclaré sans sourciller que l'affaire du Mediator – cause probable de 500 décès – était

« une fabrication "et un "bruit médiatique disproportionné" 

Par michel de pracontal

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