Ils se croyaient intouchables (1/4)
Copé,
l'homme de la piscine
Jean-Charles
Brisard cherchait un nom de code. Il a choisi « EPOC »,
l’anagramme de Copé, pour désigner les informations à
transmettre aux policiers concernant Jean-François Copé. Entendu
l’automne dernier sur la campagne d’Édouard Balladur – il
a appartenu à la cellule “Jeunes” de l’équipe du candidat –
, puis dans l’affaire Takieddine, l’agent de recherche privé
veut révéler sans apparaître, mais les policiers ont établi, sans
l’en avertir, des procès-verbaux intitulés« Renseignements
fournis par M. Jean-Charles Brisard ». Dans ces PV, Brisard
pointe les conditions d’achat par l’ancien ministre d’un
appartement à Paris, des remises d’espèces par Ziad Takieddine et
l’ouverture d’un compte en Suisse par Isabelle Copé, sœur de
l’ancien ministre et avocate.
Ces
éléments sont a priori de première main. Isabelle
Copé est une amie. Brisard est aussi l’auteur d’un mémo
accusateur sur un financement libyen de la campagne présidentielle
de Nicolas Sarkozy en 2007. Dévoilés en novembre par le JDD,
les procès-verbaux de renseignements sont accueillis par les
démentis cinglants de Jean-François Copé et ceux, embarrassés, de
Jean-Charles Brisard.
Copé
et Takieddine ©
Mediapart
« La
question qui concerne M. Takieddine est liée à une enquête, qui
est en cours, (…)qui a trait à une histoire et une
période dont je n’ai rien vécu, qui est la période de
1993-1995, s’est plaint Jean-François Copé, l’an
dernier, sur le plateau de l’émission Question
d’info (LCP/Le Monde/France Info). La plupart des
protagonistes, je ne les ai connus qu’après, bien longtemps
après. »
Mais l’enquête a progressé. En mai dernier, son périmètre initial a été élargi à des faits de blanchiment aggravé, permettant au juge Renaud Van Ruymbeke de s’intéresser à toutes les opérations financières suspectes qui ont suivi. Le magistrat est désormais fondé à questionner l’ancien ministre sur les avantages retirés de sa relation « amicale » avec le marchand d’armes durant les années 2000, mais aussi sur les soupçons évoqués par les mémos « EPOC ».
Le
calendrier n’est pas bon. Alors qu’il concourt à la présidence
de l’UMP, Jean-François Copé devrait être convoqué à l’automne
par le magistrat instructeur, selon une source proche de l’enquête.
Obtenue
par Mediapart, la note « EPOC » fait apparaître
l’ouverture du compte n°386315 au Crédit suisse de Genève au nom
d’Isabelle Copé et de son mari. Nous sommes alors en juillet 2005.
Jean-François Copé, ministre du Budget, est à la tête de
l’administration qui fait la chasse aux fraudeurs fiscaux.
extrait
du fichier "Epoc"
Dans
leur procès-verbal, établi quelques jours après la remise de ce
document, les policiers indiquent qu’ils ont informé le juge Van
Ruymbeke, qui leur « prescrit de relater les
informations fournies par M. Brisard dans un procès-verbal
d’information distinct ».
« Il (Brisard) nous
indique qu’il connaît très bien la famille Copé et plus
particulièrement Isabelle Copé et son mari, Philippe,notent les
enquêteurs. Ils auraient contacté M. Brisard, car ce
dernier est résident suisse. Les époux souhaitaient avoir des
renseignements sur l’ouverture d’un compte suisse à leur nom.
Ils lui ont précisé que son compte était en fait pour
Jean-François Copé qui lui servirait de compte de passage. Ce
compte a été ouvert en juillet 2005, auprès du Crédit Suisse de
Genève. » Les enquêteurs notent au conditionnel le
numéro du compte : 386315.
Jean-Charles
Brisard, qui découvre plus tard la prose des policiers, assure
qu’ils ont ajouté leurs propres hypothèses sur le PV. Les
policiers avaient déjà « des éléments sur le
compte de la sœur Copé », assure-t-il. Et son propre
nom avait été, d’après lui, retrouvé sur les documents
bancaires puisqu’il avait bel et bien introduit le couple dans
cette banque.
Dans le bain de la fraude fiscale
« J’ai
pris contact avec le banquier, et je les accompagné en voiture, a
expliqué M. Brisard, lors d’un entretien à Mediapart. Je
n’étais pas là quand ils ont ouvert le compte, j’ai eu la
décence d’attendre à l’extérieur de la pièce. Donc je ne peux
pas connaître le numéro de compte, le montant, ni l’objet du
compte. Les policiers me disent “est-ce que ça peut servir au
frère ?” Je n’en sais rien ! Et dans la discussion
sort l’expression de “compte de passage”. »
Jean-François
Copé quant à lui, assure avoir ignoré l’existence du compte en
Suisse de sa sœur, dont il est pourtant proche – il va
d’ailleurs domicilier son cabinet d’avocat chez elle, rue de
l’Université, à Paris.
« La
sœur craignait qu’on apprenne que Takieddine était derrière, se
souvient M. Brisard. Elle était inquiète pour ça. Elle me
dit “il est derrière”, mais de quelle façon, je ne sais pas. Il
y avait des travaux pharaoniques à l’époque, d’ailleurs, il l’a
valorisé cet appartement, avec les travaux… Il a pu le revendre
très bien et en racheter un autre. »
Ces
travaux avaient déjà été évoqués publiquement par Jean-François
Copé, en 2005, quand
le Canard enchaîné avait
rapporté qu’il occupait un appartement de fonction de 230 m2 aux
Invalides, tout en étant propriétaire de cet appartement de 160 m2,
situé rue Raynouard, à Paris,
dans le 16e arrondissement.
L’appartement
avait été acheté 1,1 million d’euros en décembre 2004 –
moyennant un prêt de la banque Palatine et un autre de l’Assemblée
nationale –, puis revendu 1,5 million, en novembre 2008. Rien
d’irrégulier, certifie Copé, qui précise que les travaux ont été
payés par chèque. Ziad Takieddine prétend quant à lui avoir tout
ignoré du sujet. « Je ne connais pas le compte de Mme
Copé,déclare-t-il à Mediapart. Je ne savais pas que M.
Copé avait des travaux à financer dans son appartement. »
La
proximité des deux hommes est apparue au grand jour par la
publication sur Mediapart, l’été dernier, d’un cliché d’août
2003 : Jean-François Copé prenant un bain dans la piscine
étincelante d’une des propriétés de Ziad Takieddine, au Cap
d’Antibes. « Qu’il nage dans une piscine, quel est
le problème ? » s’est étonné Takieddine.
Est-il interdit « d’avoir un lieu » pour
inviter des amis ? C’était « une relation
amicale », qui n’a jamais eu un
caractère « professionnel », a renchéri
Jean-François Copé.
Jean-François
Copé dans la piscine de la villa de Ziad Takieddine.©
Photo Mediapart
La
photo de la piscine a fait sourire, son contexte beaucoup moins. Ziad
Takieddine, devenu millionnaire grâce aux ventes d’armes du
gouvernement Balladur, était, depuis 2002, de retour dans le premier
cercle du pouvoir. Il chassait de nouveaux marchés auprès des
hommes de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, tout
en dissimulant sa fortune au fisc français.
L’homme de la piscine était ministre chargé des relations avec le
Parlement, porte-parole du gouvernement, puis ministre délégué à
l’intérieur, et enfin au budget, de novembre 2004 à mai 2007.
Copé était devenu « l’ami »du
marchand d’armes, accumulant les invitations, indifférent au
risque de “compromission” et au qu'en dira-t-on.
Une montre, de l'argent, des voyages…
« Je n’ai jamais eu connaissance de sa situation fiscale, jamais », déclare-t-il à l’émission Question d’info. Question du journaliste :« Est-ce que vous trouvez normal qu’une personne qui vit en France, et dispose d’une fortune de 40 millions d’euros, ne paye pas d’impôts ? » Réponse de Copé : « La question, vous ne la posez pas dans les meilleurs termes. Il y a une administration qui est là pour le vérifier (…) Je n’ai pas de raisons de mettre en cause le travail de l’administration fiscale. » Belle manière de couvrir son « ami ».
La baignade de Copé s’est installée dans les esprits, mais il y avait aussi une montre et des voyages. La montre avait été offerte par hasard. À l’occasion d’un anniversaire de Jean-François Copé, un 5 mai. « Il était chez nous, et c’était son anniversaire, s’est souvenu Ziad Takieddine. Je savais qu’il aimait les montres. On est allé à Saint-Tropez. Je suis entré dans une boutique et j’ai acheté. C’était une Rolex, comme la mienne. » « C’est une montre en acier, s’est justifié Copé dans le JDD, je ne sais d’ailleurs plus où elle se trouve. » Hélas, les deux amis n’ont pas gardé le souvenir précis du modèle offert. La fourchette des prix oscille, il est vrai, entre quatre et trente SMIC…
Reste que l’amitié semble avoir été à sens unique. Autre anniversaire : celui de Nicola Johnson, l’ex-femme du marchand d’armes. Les familles Copé et Takieddine s’étaient retrouvées à Londres pour le fêter. « Ziad avait payé le voyage, l'hôtel et les frais de bouche à Jean-François, son épouse et les deux enfants », a témoigné Nicola Johnson. Ziad Takieddine avait également payé les voyages au Liban et à Venise.
Mediapart a publié des extraits de la comptabilité de l’homme d’affaires, qui fait apparaître un« avoir de la famille Copé » de 19 050 euros sur un compte récapitulant les voyages commandés à un voyagiste, Translebanon. Jean-François Copé n’a toujours pas donné d’explication sur l’existence de ce compte. Pas plus qu’il n’a répondu sur l’organisation, par Ziad Takieddine, de son déplacement officiel au Liban en 2003, qui comprenait la rencontre de plusieurs ministres libanais, introduits par le marchand d’armes.
À une autre reprise au moins, Jean-François Copé a fourni à Ziad Takieddine les moyens de l’État, sans justification réelle. En avril 2004, alors que le marchand d’armes vient d’être victime d’un accident sur l’île Moustique, Copé, alors ministre délégué à l’intérieur, envoie en urgence son ami, le neurochirurgien Didier Grosskopf, qui séjournait sur l’île de Saint-Martin, coordonner l’assistance sanitaire et le rapatriement de Takieddine (voir ici).
« J’ai reçu un appel sur mon téléphone portable du porte-parole du gouvernement, qui était M. Copé, a indiqué le Dr Grosskopf aux enquêteurs, le 19 octobre. C’est au titre de médecin et d’ami que M. Copé m’a demandé de m’occuper d’un personnage important qui avait un problème de santé, à savoir M. Takieddine. Ensuite, la préfecture à Saint-Martin, côté français, est venue me chercher. (…) Un personnel de la Préfecture est venu me chercher. Il me semble que j’ai pris deux avions privés. »
Une intervention chirurgicale est pratiquée sur l’île de la Barbade, puis le Dr Grosskopf a « organisé le rapatriement » de Ziad Takieddine dans des avions médicalisés, jusqu’à Fort-de-France, puis à Paris, avant de suivre quotidiennement son rétablissement à l’hôpital de la Pitié Salpétrière, à raison de deux à trois visites quotidiennes. « M. Copé m’a demandé de le tenir informé de l’état de santé de M. Takieddine », poursuit le neurologue, qui a organisé des « conférences » quotidiennes pour ses proches, ouvertes à« différentes personnalités politiques et du monde des affaires ».
Sollicité, Jean-François Copé n’a pas donné suite aux questions de Mediapart. « M.Copé a eu déjà eu l'occasion de s'exprimer sur ses relations, qui ont toujours été exclusivement amicales, avec M. Takieddine », nous a indiqué son porte-parole à l'UMP.
à suivre ... peut-être ?
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