Libye,
Sarkozy
et argent noir :
les
affaires de Takieddine avec la banque Barclays
18
JUILLET 2012 |
Médiapart
« Compte
tenu de ses connexions politiques en France et de la nature de ses
affaires, il apparaît clair qu’il doit être désigné comme une
PEP(personne
exposée politiquement – ndlr) ». C’est
ainsi que le responsable du département Moyen-Orient de la branche
“gestion de fortune” de la Barclays, William Harford, présentait
Ziad Takieddine, début 2009, dans un rapport confidentiel de 19
pages que révèle Mediapart.
Le
document, destiné à faire entrer le marchand d’armes dans le
cercle de ses clients privilégiés, avait été rédigé par la
célèbre banque de Londres dans le but de lui débloquer un prêt de
13,6 millions d’euros. L’argent sera effectivement versé viades
sociétés offshore et
des paradis fiscaux, dès le mois de février 2009.
Le rapport interne de la Barclays du 4 février 2009, désormais entre les mains de la justice française, pourrait embarrasser la banque, déjà engluée dans le scandale du Libor outre-Manche. Le document révèle en effet la parfaite connaissance par la banque des circuits de blanchiment et d’évasion fiscale mis en place par Ziad Takieddine.
Ce
dernier, au centre d'une vaste enquête visant des détournements
d'argent sur les ventes d'armes du gouvernement Balladur et des
financements politiques occultes, a d’ailleurs récemment été mis
en examen par le juge Renaud Van Ruymbeke pour « avoir
organisé, dès 1995, (son) insolvabilité en
constituant un patrimoine personnel très important, faits qualifiés
de blanchiment aggravé, à Londres, à Antibes, avenue Georges
Mandel, à Paris, en ayant recours à des montages avec des sociétés
luxembourgeoises ».
W.
Harford
La
Barclays a scruté Ziad Takieddine sous tous les angles avant de lui
accorder sa confiance. Quand William Harford le rencontrait pour un
entretien, le 18 novembre 2008, à Paris, le directeur londonien de
l’équipe “Moyen-Orient” de la Barclays, Alfred Shukry,
conduisait parallèlement ses propres investigations sur le marchand
d’armes.
« Ses
relations et intérêts commerciaux ont été confirmés par des
tiers et des sources internes, note la Barclays dans son
rapport.Alfred Shukry a également rencontré Ziad et a confirmé
son standing et sa réputation sur la base d’informations fournies
par ses propres contacts. »
Les
connexions politiques de l’homme d’affaires franco-libanais, et
particulièrement celles auprès de l’entourage de Nicolas Sarkozy,
ont passionné la banque. « Les activités de Ziad
découlent essentiellement de la mise en œuvre de contrats entre le
gouvernement français et le Moyen-Orient, précisément le Liban et
la Libye, souligne le rapport. Il connaît personnellement le
chef de gouvernement Nicolas Sarkozy (« French
Premier » dans la version anglaise – ndlr),
et l’a introduit auprès du gouvernement libyen. »
Sans
évoquer le soupçon d’un financement politique de M. Sarkozy par
le régime Kadhafi, apparu au grand jour ces derniers mois, la
Barclays présente toutefois Ziad Takieddine comme un pivot des
relations d’État à État entre la France et la Libye. Elle se
montre aussi très informée des affaires sulfureuses de Ziad
Takieddine sur place.
« Ses
revenus actuels découlent d’un contrat qu’il a négocié –
pour la fourniture d’équipement de surveillance électronique aux
fins de surveillance des e-mails et d’internet – entre les
gouvernements français et libyen. Il reste à payer 5 millions
d’euros sur ce contrat pour les deux ans à venir »,
note la banque. Le contrat et les paiements dont il est ici question,
révélés par Mediapart en 2011 (ici),
ont été signés par la société Amesys, absorbée par Bull, et
sont aujourd’hui au centre d’une enquête pour« complicité
de torture » ouverte
au Palais de justice de Paris.
Au cœur de l'évasion fiscale
Parmi
les documents récupérés par le juge Van Ruymbeke figurent
également des éléments de comptabilité personnelle fournis début
2009 par Ziad Takieddine à la Barclays, qui font apparaître une
somme de 400 000 dollars, sous l’appellation « cash-Libya ».
On se souvient que l’homme d’affaires avait été arrêté à
l’aéroport du Bourget, en mars 2011, de retour de Libye, porteur
d’une somme de 1,5 million d’euros en espèces.
« Les
contacts du client en Libye sont du plus haut niveau, poursuit le
banquier William Harford dans son rapport. À l’occasion de
plusieurs rencontres, Ziad a exprimé le souhait d’explorer le
potentiel d’opportunités pour la banque dans ce pays(…) J’ai
été très encouragé par la compréhension de Ziad de notre désir
de ne pas avoir avec lui une seule relation de prêt bancaire. »
« Sa
dernière et plus importante initiative a été de faciliter une
transaction entre la société énergétique française Total et le
gouvernement libyen pour la fourniture d’électricité au
pays,signale
encore la Barclays, très au fait du montage de cette opération au
Luxembourg, estimée de
100 à 150 M€ »,
dont Mediapart a déjà parlé (ici).
Le
rapport du banquier Harford, qui a rejoint aujourd'hui la direction
de la Khashoggi Holding, du nom du célèbre vendeur
d'armes Adnan Khashoggi,
s’accompagne en outre de nombreux graphiques (ci-dessous)
qui détaillent la complexité du système d’évasion fiscale mis
en place par Ziad Takieddine au Panama, dans les Iles Vierges
britanniques ou encore au Luxembourg (voirici)
pour échapper à l'impôt.
Graphiques
extraits du rapport de la Barclays
« Comme
on peut s’y attendre pour un client de la nature de Ziad, ses
avoirs sont détenus par le biais de structures offshore,
bien qu’il soit, lui et non un trust, le bénéficiaire direct de
chacune(...) En raison de sa résidence (fiscale – ndlr) à
Paris, la structure de ses propriétés d'actifs est un peu
complexe », observe la Barclays.
Cela
n’empêche en rien les projets de collaboration entre la banque et
le marchand d'armes, désormais visé par des enquêtes pour fraude
fiscale. Au contraire, celle-ci s’adapte à merveille aux
stratégies offshore de son nouveau client pour lui
verser les fonds qu’il attend.
« En
raison des implications juridiques et fiscales liées à la partie
française de la transaction, soumise à la loi française, le prêt
sera structuré en deux opérations distinctes. (...) Notre
relation de prêt bancaire passera par la structure aux Iles Vierges
britanniques qui détient la propriété de Londres », peut-on
ainsi lire dans le rapport de la Barclays. Les fonds seront versés
en deux fois : 6 M£ (7,6 M€) à Londres, puis 6M€ sur un
compte à Monaco.
L’affaire
sera conclue en février 2009, malgré l’opacité du système et la
méfiance de Ziad Takieddine vis-à-vis de ses propres
banquiers. « Il est probable que le client possède des
liquidités et des avoirs au-delà de ce qu’il a déclaré, mais il
est réticent à déclarer la totalité de ses actifs à une tierce
partie à ce stade de la relation, note, compréhensive, la
Barclays. Sa résidence en France, et le régime fiscal qui lui
est associé, font qu’il est prudent quand il discute de
ses revenus et avoirs imposables. »
Contactée,
la banque n’a pas donné suite à nos sollicitations.
L’argent
de la Barclays perçu par Ziad Takieddine a été versé sur le
compte de ses sociétés immobilières, dirigées par des hommes de
paille. L'un d'entre eux, Alain France, a reconnu les faits devant
les policiers, lors d'une audition, le 3 mars 2011 : « J'ai
signé la demande de prêt en présence de M. Takieddine et du
directeur de la Barclays (…) J'ai conscience
d'avoir été le gérant de droit alors que M Takieddine étant le
gérant de fait. »
A suivre ?
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