mardi 12 juillet 2011

Martine Aubry dans Libération :

« Je n'ai qu'un adversaire, Monsieur Sarkozy »

Le Parlement débat mardi de l'opportunité de poursuivre les opérations militaires en Libye, quelle est votre position?
La France a trop tardé. Mi-février, j’avais demandé une zone d’exclusion aérienne dans l’ouest de la Libye, qui aurait permis aux défenseurs de la liberté d’avancer, car Khadafi était en grande difficulté. Chavez se proposait comme intermédiaire. Moscou et Pékin pensaient la chute rapide. On connaît la suite. Aujourd’hui ce retard pèse. Ceci dit, il faut poursuivre. Cesser la pression accroîtrait l’oppression, conduirait à de nouveaux malheurs. Il faut continuer, nous le dirons mardi à l’Assemblée Nationale, car il n’y aura de solution stable et de paix qu’avec le départ de Khadafi.

Comment les socialistes peuvent-ils mener sereinement leur primaire avec le “feuilleton” Strauss-Kahn? 
Il faut de la sérénité et laisser faire la justice.
Il faut donc éviter les commentaires sur les commentaires. Laissons Dominique Strauss Kahn poursuivre ses efforts pour être innocenté, et je souhaite que ce soit le plus vite possible. Laissons le souffler face à cette histoire personnelle douloureuse. Arrêtons de parler à sa place et de l’instrumentaliser. De l'autre côté, notre devoir est d’être au rendez vous des Français pour redresser la France et la rassembler dans la justice. C’est ce à quoi je me prépare.
S'il est innocenté, est-ce que DSK sera un atout pour la gauche? 
Oui bien sûr, ce sera à lui de dire quand il le voudra ce qu'il a envie de faire.
Après ce "coup de tonnerre", comment prenez-vous la décision de vous lancer dans la primaire? 

J'ai pris la responsabilité de présenter ma candidature à la présidence de la République car je pense aujourd'hui être la mieux à même de faire gagner la gauche en 2012. C'est une décision qui ne se prend pas en une nuit ! Je l’ai longuement mûrie avant de m’engager et aujourd’hui ma détermination n’en a que plus de force. Je n'ai jamais très bien compris ce discours sur l'envie. Ce qui compte, c’est la volonté, la vision et la capacité. Etre présidente de la République est une mission d'une grande noblesse qui implique d'aimer son pays profondément, d'incarner
son histoire et ses valeurs, et de rassembler les Français.
Hollande veut être un président normal, Royal la présidente des solutions. Quelle candidate et, le cas échéant, quelle présidente serez-vous?
Une présidente solide pour une France solidaire. Une présidente qui prend de la hauteur - on a besoin de distance pour réfléchir, on ne peut pas sauter sur tous les coups - mais qui garde sa proximité avec les Français. Ce contact avec les Français, c'est mon moteur, c'est là que je puise ma force. J'ai la volonté de transformer la vie, pour la rendre plus sereine, plus douce, et de redonner à notre pays sa force et sa voix.
La primaire peut-elle dégénérer en combat fratricide?
Je n'ai pas d'adversaire au Parti socialiste. Je n'ai qu’un adversaire : c'est M. Sarkozy. Vous n'entendrez de moi aucun mot sur les autres candidats. Je m'adresse aux Français et je resterai sur cette ligne jusqu’au bout. Je pense que chacun d’entre nous a conscience que la situation est trop grave pour que nous décevions les Français. Nos primaires sont une occasion formidable de nous adresser à eux. Ils choisiront la personne qui incarne le mieux la fonction présidentielle à leurs yeux et qui leur donne le plus confiance. Je leur dit ce qu'est ma conviction profonde: retrouver une France forte, sereine et unie, ce qu’elle n’est plus aujourd’hui. Les Français ont besoin de comprendre chacun d’entre nous, de mesurer si la solidité, le courage, la compétence sont là mais aussi si l'empathie et la confiance existent.

Si on vous dit François Hollande, vous dites quoi?
C'est un socialiste.

Et Ségolène Royal?
C'est une socialiste.

Certains candidats s’éloignent du projet du PS. N’est-ce pas un risque inhérent à la primaire, pour se différencier? 
Le projet a été voté à l'unanimité, c'est une première au PS… C'est le socle commun. Chacun peut mettre l'accent sur ce qui lui paraît prioritaire. Je dirai à la rentrée ce que je ferai dès la première année du mandat pour que les Français sachent par quoi nous commencerons.
La droite vous attaque sur les 35 heures, dénonce le projet du PS qui ne serait qu'une resucée des mesures "du passé", comme les emplois d’avenir... 
S'ils veulent dire que j'ai une certaine expérience, oui, ils ont raison ! (rires). Pour présider la France, il vaut mieux, comme moi, avoir été à la fois dans la fonction publique, dans l'entreprise, dans le monde syndical et associatif, d’avoir dirigé une grande ville, une métropole, et d’avoir comme Ministre redressé les comptes de la sécurité sociale, fait retomber le taux de chômage et de grandes réformes comme la CMU ou l’APA. Sur les 35 heures, tout n'a pas été parfait mais c'est la dernière grande réforme qui a été faite pour tous  les Français. Et puis on ne peut pas prétendre comme le Président sortant que les 35H plombent la compétitivité de la France et ne pas les avoir supprimées depuis que la droite est au pouvoir. Aujourd'hui, l'Allemagne travaille deux heures de moins que nous par semaine et c'est le pays le plus compétitif en Europe! Reprenons ses recettes : la recherche, le soutien aux PME, la formation des salariés tout au long de la vie…
Sur les retraites, il semble que les Français ne savent toujours pas ce que les socialistes feront...
Nous avons été beaucoup caricaturés. Et sans doute ne nous sommes-nous pas suffisamment expliqués. Pourtant, ce que nous avions dit sur le projet du gouvernement est avéré: il n'est pas financé et il est injuste. La preuve : quatre jours après l'entrée en vigueur de cette loi, alors qu’on nous disait que les retraites étaient financées pour les 20 ans à venir, le gouvernement vient de porter la durée de cotisation à 41,5 années alors que c’était prévu  pour 2020. Notre projet lui est totalement financé, grâce notamment à une contribution des banques et une taxation des bonus et des stock-options, et une augmentation de la durée de cotisation. Et il est juste : il protège ceux qui ont commencé à travailler tôt ou sur des emplois pénibles. Et puis il y a la méthode : en 2012, si les  Français me font confiance, je discuterai immédiatement avec les syndicats pour mettre en place la vraie réforme des retraites.
Est-ce que le PS a réglé son problème avec la politique de sécurité?
Ce sont les élus socialistes qui innovent le plus en la matière. Pour moi comme pour eux, le droit à la sécurité est un droit premier, fondamental, car sans sécurité on ne peut pas vivre. La Cour des Comptes elle-même vient de mettre en évidence l’échec de la politique de la droite. Aujourd'hui, il faut tout reprendre à zéro. Je défends un principe : tout acte d’incivilité ou de délinquance doit entraîner une sanction juste, proportionnée et rapide. Pour l’appliquer il faut des solutions concrètes : 10.000 policiers et gendarmes en plus, des moyens supplémentaires pour la justice. Une police pour les quartiers. Et des solutions adaptées à chaque cas : par exemple pour les jeunes délinquants, des tâches d’intérêt général jusqu’aux centres de discipline pour les récidivistes.

Vous abandonnerez la règle du non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partants à la retraite?
Philippe Séguin avait dit lui-même que ce principe était imbécile parce qu'automatique. Il y a des domaines où on doit faire des économies mais d'autres où il faut au contraire remettre des effectifs. Il faut mettre les moyens là où il y en a besoin. Nous faisons des choix et nous le disons. J’engagerai une profonde modernisation des services publics : je veux un Etat performant qui prend mieux en compte les attentes de chacun.
La droite attaque un projet socialiste «irréaliste» et «coûteux»…
Nous n'avons pas de leçons à recevoir de la droite en matière de gestion. Depuis 10 ans qu'elle est au pouvoir, la dette de la France a été doublée, de 800 milliards à 1.600 milliards d'euros. Les socialistes savent compter et ils le montrent, quand ils sont au gouvernement, ou aujourd'hui dans leurs collectivités. Je prends un engagement clair : faire baisser la dette et les déficits et rétablir l’équilibre des comptes de la sécurité sociale.
Comment procéderez-vous?
A l’été 2012, certaines mesures seront prises tout de suite en opérant des redéploiements budgétaires. Par exemple, au sein du budget logement, supprimer des avantages fiscaux pour les multipropriétaires, qui entraînent la spéculation, pour financer du logement social et l’accession sociale à la propriété.
Autre exemple : supprimer la défiscalisation des heures supplémentaires qui coûte 4,5 milliards et qui bloque les embauches. C’est plus qu’il nous faut pour créer 300.000 emplois d'avenir pour les jeunes.

Autre exemple encore : au sein de l’impôt sur les sociétés, réduire le taux pour les entreprises qui réinvestissent et créent des emplois, et l’augmenter pour celles qui distribuent majoritairement leur résultat aux actionnaires.
Au-delà, en 10 ans, la droite a accru de 70 milliards les baisses d'impôt et les niches fiscales pour les plus favorisés. Récupérer ici 50 milliards, je n’appelle pas ça des hausses d’impôts mais la suppression de dépenses fiscales inefficaces et injustes. Personne ne peut expliquer en quoi la niche Copé pour les grandes entreprises, qui a coûté 22 milliards à l'Etat, a été utile à l'économie française. Par ailleurs, la politique de relance de l’économie apportera des ressources nouvelles. J’ai une règle financière pour 2012 : le 50/50. 50% des ressources fiscales devront aller au désendettement, 50% au financement de nos priorités.
Les socialistes doivent-ils s'occuper prioritairement des classes populaires ou des classes moyennes?
Je n'ai jamais considéré les Français comme des parts de marché. Je veux les réunir autour d’une vision commune et de solutions partagées.

Aujourd’hui, la société est éclatée, fragmentée, précarisée. Une partie des classes populaires pense que la politique les a oubliés et se réfugie dans l’abstention ou dans le vote pour le Front national. Ces mêmes classes populaires souffrent, comme les classes moyennes qui se sentent déclassées. Je veux m’adresser à eux tous pour leur dire que mes priorités sont l’emploi, le pouvoir d’achat, l’éducation, au-delà du préalable qu’est la sécurité. Leur dire comment la France peut se redresser, reprendre le chemin du progrès et même celui de nouvelles conquêtes. Ainsi, une des premières lois que je ferai voter concernera l'égalité de salaire entre les hommes et les femmes. Je veux cimenter une nouvelle majorité sociale, qui doit rassembler d’abord la gauche, mais bien au-delà ceux qui partagent les valeurs de la République.
Le PS a-t-il changé au point de proposer une alliance gagnant-gagnant aux écologistes?
Nous avons appris à nous connaître, à partager des idées, à agir ensemble, notamment au plan local dans les collectivités. Nous débattons de tout, sur le projet pour la France comme sur le terrain électoral. Nous avons avancé lors des derniers scrutins. Les socialistes proposent aujourd’hui d’introduire une part de proportionnelle dans  toutes les élections pour permettre une juste représentation de chacun. Le rassemblement de la gauche passe aussi par des relations de confiance. Cette relation, je l'ai nouée avec Cécile Duflot, que je respecte profondément. Quand elle s'engage, elle fait vraiment.

Europe Ecologie-Les Verts est devenu votre partenaire privilégié. Quid du reste de la gauche, notamment le Front de gauche?
J'ai tout fait pour que nous soyons rassemblés. Cela vaut pour les Radicaux et les Citoyens, comme pour le Parti communiste. Pour ce qui concerne le Parti  de gauche, il reste encore un peu de travail à faire !

Craignez-vous une campagne trash?
Des rumeurs méprisables ont commencé depuis un certain temps, notamment sur mon mari. D’autres personnalités politiques en font aussi l’objet. Cette façon de faire de la politique est indigne dans une démocratie. J'ai une règle simple: faire corriger ces fausses informations et aller devant la justice chaque fois que nécessaire.
Ces rumeurs, ces attaques, ce climat, cela a pesé dans votre décision?
Non, car je fais confiance à la justice. Je compte aussi sur les médias pour chercher la vérité des faits.



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