Comme
une majorité de français,
je
suis pour la suppression du Sénat.
Voilà
pourquoi ...à vous de juger.

Sénat :
les énormités d'un budget qui n'a jamais été publié
Médiaparte
par Matuilde Mathieu et Michaël Hajdenberg
C'est
ce document, jamais publié, que Mediapart s'est procuré et met en ligne
après six mois d'enquête au Palais du Luxembourg, où les services ont
pour consigne de ne plus répondre à nos questions, où les fonctionnaires
soupçonnés de nous informer se retrouvent visés par une plainte pour vols de documents et abus de confiance.
Si nous avions déjà croisé certains de ces chiffres au cours de nos précédents articles (sur les rémunérations des conseillers du Président, le train de vie des questeurs ou les bonus de pensions des dignitaires), la plupart sont inédits.
A
la veille des sénatoriales du 25 septembre, ils contredisent certains
arguments de campagne de Gérard Larcher, révélant une hausse du budget
2011 de sa Présidence. Mais apparaissent également au grand jour la
farandole de primes des fonctionnaires «maison» (soignés par les élus en
échange de leur discrétion) ou les dernières lubies des parlementaires
en matière de communication multimédia.
Pourquoi
faudrait-il cacher aux citoyens la destination précise des 327,7
millions d'euros versés par l'Etat au Palais du Luxembourg en 2011
(auxquels s'ajoutent 18,5 millions d'euros de fonds propres)? Dans
d'autres démocraties, en Grande-Bretagne par exemple, jamais une telle
opacité ne serait tolérée. En France, Gérard Larcher peut se vanter,
tout au long de sa campagne sénatoriale, d'avoir réalisé «une économie de 52 millions d'euros sur trois ans» (en supprimant des «prêts logements sans intérêt», en «contractant des dépenses du parc automobile, etc. »), sans que les médias aient les moyens de vérifier, faute de documents budgétaires détaillés.
Cette formule du président, en l'occurrence, est trompeuse: les crédits de sa maison n'ont absolument pas diminué ces trois dernières années (ils sont en légère hausse); simplement, depuis 2009, la dotation versée par l'Etat au Sénat a cessé d'augmenter au rythme des années antérieures (qui aurait engendré une augmentation de 52 millions d'euros en trois ans). Le Sénat se cache derrière des artifices.
Et
c'est d'autant plus facile qu'il n'est soumis au contrôle d'aucun
magistrat financier. Gérard Larcher dégaine certes des mots rassurants à
longueur d'interviews: «audit», «ordre des experts comptables», «Cour des comptes». Mais s'il est vrai que le Sénat se soumet depuis 2010 à un audit annuel, «réalisé sous l'égide du conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables», les seules observations publiées tiennent en une page et demie.
Quant
à la Cour des comptes, institution du contrôle financier par excellence
(chargée depuis 2008 de fourrer son nez jusqu'à l'Elysée), le président
Larcher la cite, pour faire illusion, mais ne rappelle jamais son rôle
véritable au Palais. Et pour cause! Car voici comment l'institution
définit sa mission, dans un mail à Mediapart:«La Cour ne contrôle pas le Sénat.»
Elle «prend acte» des
comptes qu'on lui transmet, et se contente d'apposer son tampon avant
publication. Les magistrats n'ont pas loisir d'apprécier l'opportunité
des dépenses – ce serait contrevenir au principe d'autonomie du
Parlement, juge le Sénat, oubliant un peu vite que l'Assemblée a déjà fait
appel aux magistrats financiers. Le premier Président de la Cour,
sollicité par Mediapart, fait d'ailleurs une offre de services au Sénat: «La Cour est à la disposition des assemblées si elles le souhaitent.» Au passage, il rappelle qu'en 2007 «le président de la République l'a demandé à la Cour (ndlr - pour les comptes de l'Elysée)» et qu'«elle l'a fait».
Sur l'opportunité des frais engagés, il y aurait sans doute beaucoup à dire, comme le suggère le document que nous publions.
Intitulé «Budget du Sénat pour 2011 - Présentation détaillée par service», il a été bouclé fin 2010. Les chiffres 2008, 2009 et 2010 sont systématiquement rappelés, ce qui permet de juger l'action de Gérard Larcher (élu fin 2008 à la Présidence). S'il n'est pas impossible que certains montants programmés pour 2011 aient bougé à la dernière seconde, c'est forcément marginal. Mediapart a choisi de zoomer sur des données significatives et jamais publiées, quitte à en laisser d'autres de côté (nous y revenons en Boîte noire).
Le tour de passe-passe de Gérard Larcher
Le
budget que nous mettons en ligne permet de plonger dans la comptabilité
de la Présidence, installée dans le Petit Palais, où Gérard Larcher
travaille entouré de conseillers, de cuisiniers, de secrétaires,
d'employés de maison... Le sénateur des Yvelines répète à l'envi qu'il a
réduit de 30% son indemnité de fonction à son arrivée, supprimé des
véhicules et réduit «de l'ordre de 10%» les personnels mis à sa disposition.
Dans le document de campagne qu'il a mijoté pour promouvoir sa réélection le 1er octobre, il s'auto-congratule: «Les dépenses globales de la Présidence enregistrées en 2009 ont diminué de l'ordre de 8%, écrit-il. Et celles de 2010 ont été stabilisées.» On
est contraint de prendre ce chiffre pour argent comptant, puisque
Gérard Larcher a modifié le périmètre comptable de la Présidence en
2009, empêchant toute vérification. Mais une chose est sûre, à la
lecture de notre document: le budget accordé en 2011 est remonté de 7,5%
par rapport à 2010 (à périmètre inchangé), pour atteindre 4.044.100
euros. Le patron a laissé filer les cordons de la bourse, et se garde
bien de le mentionner.
Ce
rebond aurait dû rester secret, en pleine campagne électorale. C'est
raté. Sollicité par Mediapart, le cabinet de Gérard Larcher n'a pas
souhaité s'expliquer.
Pour les «frais de déplacement du Président», c'est
le même scénario: s'ils ont fortement diminué en 2009, ils ont regonflé
ensuite, au point de revenir en 2011 quasiment à leur niveau de 2008
(465.000 euros, contre 498.000 trois ans plus tôt). La propagande
électorale de Gérard Larcher n'en souffle mot.
D'autres chiffres, enfin, sautent aux yeux: les «frais de réception et de représentation du Président» ont
augmenté d'environ 38% entre 2008 et 2011, pour approcher les 500.000
euros. En avril dernier, quand nous l'avions interrogé sur l'explosion
des salaires au sein de son cabinet (par rapport à l'époque de son
prédécesseur Christian Poncelet), Gérard Larcher nous avait pourtant
répliqué: «Plus de neurones, moins de petits fours!» Que répondra-t-il désormais?
Les rémunérations des fonctionnaires mises à nu
Il
n'y a pas que les élus qui jouissent de privilèges inconnus au Sénat.
Les fonctionnaires disposent depuis 1958 d'un régime autonome, bien plus
avantageux que celui des fonctionnaires classiques. Au Palais du
Luxembourg, ils sont plus de 1200 à en bénéficier (les contractuels
n'ont pas tous ces avantages). Pour y parvenir, ils ont réussi un concours externe et
sont devenus jardiniers, agents de sécurité, ou encore directeurs des
services. Leurs conditions de travail sont telles qu'une question
s'impose: l'institution cherche-t-elle à acheter leur silence?
Les
titulaires et stagiaires ont coûté 119 millions d'euros au Sénat en
2010 (charges sociales comprises), soit 38% des charges de
fonctionnement. Mais il faut aller au-delà de ces grandes masses pour
comprendre le régime si particulier que connaît l'administration du
Palais du Luxembourg.
Mediapart
s'est donc procuré plusieurs documents internes, qui nous ont servi de
base de calcul pour reconstruire la grille salariale actuellement en
vigueur au Sénat. Ce tableau des traitements (toutes primes comprises)
ne laisse pas d'étonner. Les chiffres ci-dessous sont exprimés en net
fiscal, et sont touchés par des fonctionnaires qui suivent un cursus
normal au Sénat. Pour avoir le salaire annuel, il suffit de multiplier
la somme par 12.
Parmi
les quelque 240 administrateurs, il existe même quatre postes de
directeurs généraux et secrétaires généraux, tenus par les plus hauts
fonctionnaires du Sénat, qui sont rémunérés environ 19.200 euros par
mois en fin de carrière.
A
l'opposé de l'échelle, «tout en bas», on trouve les agents. Des postes
ne nécessitant pas de diplômes et rémunérés 3000 euros net par mois en
début de carrière. Du coup, quand on interroge les sénateurs sur leurs
rémunérations, ils manquent rarement l'occasion de pointer du doigt
celles des fonctionnaires. Comme si c'était là le seul scandale.
Le président du Sénat lui-même, lorsqu'il avait reçu Mediapart en avril pour s'expliquer sur la forte hausse des salaires dans son cabinet (il en a plafonné certains après notre article), s'était permis de divulguer quelques chiffres bien sentis. Et quelques commentaires, candides: «Le Secrétaire général du Sénat gagne 20 ou 25% de plus que moi... Ce n'est pas un scandale, c'est comme ça.»
Le
montant de ces traitements s'explique par une ribambelle de primes,
obtenues au fil des ans. Ainsi, une prime de chauffage est versée à
tous de façon équivalente. Si plus grand monde ne se souvient des
raisons de sa création, beaucoup savent qu'elle est en partie indexée
sur le prix du pétrole. Elle a donc flambé au cours des dernières
années. Alors qu'elle s'élevait à 1500 euros par an en 2000, elle a
atteint 3500 euros en 2008 et 4035 euros en 2011. Les privilèges ayant
des limites, les couples du Sénat n'ont pas intérêt à se marier: ils
devront sinon se partager une seule prime de chauffage (prime budgétée
en tout pour 2011 à plus de 3.450.000 euros).
Et
même quand les avantages disparaissent, ils sont compensés. Ainsi, dans
les années 1990, le président René Monory décide d'arrêter de payer une
partie des rémunérations en argent liquide, qui échappaient ainsi au
Fisc. Immédiatement, une prime annuelle équivalente à deux semaines de
salaire pour chaque fonctionnaire est créée.
De
même, les fonctionnaires entrés au Sénat avant 1999 touchent une
indemnité compensatrice individuelle (ICI). L'abattement fiscal de 20%
sur leurs rémunérations ayant été supprimé à cette époque, une
compensation a été adoptée. Ils seraient quelques fonctionnaires à
refuser de toucher cette indemnité, au nom de l'égalité entre les plus
anciens embauchés et les plus récents. Cette prime coûtera tout de même
plus de 2.500.000 euros en 2011.
Mais
il existe surtout toute une série d'indemnités spécifiques (pour le
caviste, le service des vieux papiers, la buvette, les cuisiniers, la
prime de bûcheronnage ou celle des risques et intempéries pour ceux qui
travaillent au jardin, etc.). Les indemnités d'habillement (88.000 euros
au budget du Sénat en 2011) sont versées alors que ceux qui exercent
leur fonction en tenue reçoivent déjà deux uniformes par an. Il s'agit
donc plutôt d'une prime de pressing.
Des
primes de conduite sont versées, notamment aux... chauffeurs, dont on
aurait pu penser que la conduite justifiait déjà leur salaire de base.
En plus de leur paye, ces chauffeurs touchent une indemnité liée au
nombre de kilomètres parcourus (pour un coût estimé de 281.000 euros en
2011). A se demander pourquoi les cuisiniers ne touchent pas une prime
au plat mitonné.
Au
vu des salaires, les retraites sont mécaniquement élevées: un agent qui
a fait toute sa carrière au Sénat (ce qui est assez rare : beaucoup
d'agents entrent au Palais du Luxembourg après 35 ans) touchera une
pension supérieure à 3000 euros. Un secrétaire général en fin de
carrière, plus de 13.000 euros.
Alors, tout en se déclarant «favorable au statut autonome de la fonction publique parlementaire», le président (UMP) Gérard Larcher se vante d'avoir mis en œuvre quelques réformes depuis 2008.
Une plus grande mobilité parmi les services a été imposée aux agents. Le temps de travail annuel a été revu à la hausse: 1607 heures. Les fonctionnaires sont passés de 12 semaines de vacances par an à 11 (5 de vacances, 6 de RTT). Les primes correspondant aux séances de nuit et aux week-ends sont remplacées par une rémunération forfaitaire mensuelle, proportionnelle aux indices des salaires. Mais les économies, sur ce point par exemple, restent assez minces. D'autant que, contrairement à ce qu'avait annoncé Gérard Larcher, même des personnels ne travaillant pas le soir et le week-end continuent de la toucher (les agents affectés au jardin ont été exclus du dispositif... mais ils touchent en conséquence une indemnité compensatrice).
Le
nombre de directions est passé de 21 à 14. Mais là aussi les économies
seront amoindries: pour éviter le blocage de carrière des
administrateurs lié au moins grand nombre de postes de direction, un
nouveau grade (avec la rémunération adéquate) est créé.
Ces changements en apparence relatifs ont déclenché un mouvement de grève inédit fin 2010 au
Sénat contre la réforme. Interrogé sur le bien-fondé de cette position
au vu des conditions de travail, le syndicat des fonctionnaires du Sénat
nous a répondu, par mail, qu'il ne «s'opposait pas au changement par principe mais à la manière dont la réforme a été mise en œuvre».
Le Syndicat considère que «les
mesures mises en place sont de nature à remettre en cause le statut
spécifique de la fonction publique parlementaire, garant notamment de sa
neutralité. Au risque de voir se développer un recrutement du personnel
fondé sur une contractualisation politisée». Toujours selon le syndicat, concernant le temps de travail, «la
réforme ne fait pas mention des repos compensateurs, des mesures
protectrices pour les femmes enceintes par rapport au travail de nuit,
des congés pour raisons familiales». La réforme imposerait également «une mobilité contrainte et forcée».
Le
président du Sénat, qui n'a pas souhaité répondre à nos questions sur
ce sujet, estime lui, qu'à terme ces réformes permettront d'économiser 6
à 8 millions d'euros. Sans préciser comment il aboutit à ce chiffre, ni
à quelle échéance il compte y parvenir.
Les comptes des groupes politiques hors contrôle
Comme
à l'Assemblée, une part du travail législatif est abattue non par les
élus, mais par les groupes politiques et leur bataillon de conseillers,
qui produisent notes, amendements, éléments de langage, etc. A ce titre,
le Sénat subventionne le fonctionnement des cinq structures existantes
(UMP, PS/Verts, Union centriste, Radicaux, PCF/Parti de gauche).
Bizarrement, entre 2008 et 2011, la somme allouée à ces groupes a bondi
d'environ 38%, pour dépasser les 10 millions d'euros. Sans compter
265.000 euros d'aides à l'achat de bureautique. Pour quelle raison?
La
révision constitutionnelle de 2008, censée avoir revalorisé le
Parlement, aurait officiellement alourdi la charge de travail des
collaborateurs (une vingtaine au groupe PS),
obligeant à recruter. Difficile à vérifier. Carrément impossible au
groupe UMP, qui ne publie aucun organigramme officiel de ses
conseillers.
Dans
ce domaine, l'opacité est à son comble: les groupes politiques ne
rendent pas publics leurs comptes. Que font-ils de leur argent? Les
pires rumeurs circulent. D'autant que les sénateurs, quand ils
n'utilisent pas l'intégralité de leurs enveloppes «frais
de mandat» (6.240 euros net par mois) ou «assistants» (7.548 euros
brut), en redistribuent une partie à leur groupe politique.
En 2009, dans un rapport remis
au Conseil de l'Europe, le groupe des Etats contre la corruption (le
Greco) s'étonnait que la législation française sur la transparence de la
vie politique «ne s'applique pas encore (...) au financement des groupes parlementaires»...
L'année
suivante, au hasard d'un contrôle sur les comptes du petit parti
«Alliance centriste», la commission chargée de vérifier les comptes des
formations politiques en France épinglait le groupe «Union centriste» du
Sénat, lui reprochant d'avoir fait transiter, par sa caisse, de
l'argent du Modem vers l'«Alliance centriste» (présidée par le sénateur
Jean Arthuis). Une tuyauterie «irrégulière», tonnait la Commission, toutefois dénuée de pouvoirs de sanction...
5.500 euros d'allocations chômage
Parmi
les sénateurs qui seront battus aux élections du 25 septembre, cinq
devraient pointer au chômage et toucher illico des allocations. C'est en
tout cas sur ce chiffre de «bénéficiaires potentiels» qu'a
misé le Sénat, qui a budgété «83.100 €» pour les seuls mois d'octobre,
novembre et décembre 2011. L'aide prévue? Jusqu'à 5.542 € par personne
et par mois (soit l'équivalent de l'indemnité parlementaire de base).
Les
élus qui se retrouvent sur le carreau ne touchent pas les Assedic
proprement dits (un mandat n'ayant jamais été considéré comme un
travail), mais une «Allocation de retour à l'emploi» spécifique.
Le site internet du Sénat décrit le dispositif dans ses grandes lignes:
les anciens sénateurs peuvent y prétendre jusqu'à 65 ans (contre 60
pour les députés); les versements sont dégressifs (mais diminuent de
combien par trimestre?); cette allocation peut durer trois années, y
compris quand l'élu reprend une activité (le montant de ses revenus
personnels est alors défalqué).
Quels
moyens sont mis en œuvre par le Sénat pour vérifier que les intéressés
sont en recherche effective d'emploi, comme dans le régime général des
Assedic? Mystère.
Combien
coûte ce système en année de croisière? Vu l'âge moyen des sénateurs en
fin de mandat, sans doute pas beaucoup. Mais c'est impossible à dire
avec précision. Aucun bilan n'est publié par le Sénat – alors que
l'Assemblée nationale se montre transparente, ne dissimulant guère que
l'identité de ses anciens députés bénéficiaires.
Une communication partielle sur la communication
Dans son document de campagne, Gérard Larcher met en avant, comme preuve de sa bonne gestion économique, la «suppression de 800.000 euros annuels de crédits à la communication et à l'événementiel».
En épluchant notre document, cette baisse n'a rien d'évident. Certes,
le budget des «publications et revues» du Sénat diminue de 360.000 euros
entre 2008 et 2011. De la même façon, les manifestations et expositions
organisées par le service Communication coûtent 280.000 euros de moins
sur la période.
Mais
on lit d'autres choses au fil du budget détaillé. Entre 2008 et 2011,
l'ensemble du budget Communication est passé de 5 millions à 8,488
millions d'euros: la rémunération d'intermédiaires et d'honoraires en
communication, quasi inexistante en 2008, s'élève en 2011 à près de 1
million d'euros; mais la forte augmentation est surtout due aux
investissements audiovisuels du Sénat.
Ces
derniers n'ont rien à voir avec PublicSénat, la chaîne de télévision
dotée d'un budget de 16.135.000 euros (+3,2%), et qui, au terme
d'investissements pluriannuels de 5.500.000 euros, disposera de nouveaux
locaux au 64, boulevard Saint-Michel.
Non,
il s'agit cette fois d'investissements en «matériel audiovisuel»
destiné au Sénat lui-même, s'élevant à 3.770.000 euros. Gérard Larcher
voulait notamment s'assurer que seraient filmées ses interventions et
tout ce qui lui paraît important dans le travail parlementaire, pour
diffusion sur le site internet. Depuis plus d'un an, le Sénat a donc
recours à une entreprise privée, la Netscouade, qui anime les pages
Facebook, Twitter et Dailymotion de l'institution, réalise chaque
semaine des vidéos pluralistes, sous tutelle, pour un coût d'environ
650.000 euros.
Les petits secrets des groupes d'amitié
Le Sénat compte 78 groupes d'amitié, «instruments privilégiés de la coopération bilatérale entre les parlements», autorisés à partir en «missions».
Celles-ci s'ajoutent aux voyages organisés par la commission des
Affaires étrangères, qui débouchent sur de véritables rapports
d'informations, liés à l'actualité.
A
la lecture du budget 2011, 650.000 euros sont consacrés à ces
déplacements des groupes d'amitié – sans compter les réceptions,
rencontres et colloques organisés en France.
En
2011, des groupes d'amitiés ont fait des voyages en Corée, en Croatie
ou encore au Tadjikistan. Nous avons choisi d'enquêter sur un exemple
récent qui nous intriguait, avec l'idée d'évaluer le rapport
intérêt/coût pour le contribuable. Au mois de juillet, une délégation de
six sénateurs du groupe France-Vanuatu/Iles du Pacifique s'est
rendue une semaine aux îles Tonga et aux Fidji. Jean-Pierre Demerliat
(PS), Jacqueline Panis (UMP), Jean-Luc Fichet (PS), François Pillet
(UMP), Odette Terrade (CRC) et Robert Laufoaulu (UMP) étaient
accompagnés d'une administratrice (un secrétaire exécutif se déplace
toujours avec les élus).
En
ce qui concerne l'intérêt, nous avons dû nous en tenir aux témoignages
des quelques sénateurs qui ont bien voulu nous répondre, à savoir
François Pillet (UMP) et Odette Terrade (Groupe communiste républicain
et citoyen). Dans un document interne que nous nous sommes procuré,
titré «Groupes interparlementaires d'amitié: mémento à l'usage des
secrétaires administratifs», il est pourtant précisé que: «Après
un déplacement, il est désormais obligatoire d'établir un compte rendu
sous la forme d'un «quatre-pages» et de le transmettre dans le délai
maximal d'un mois à la division en charge des groupes
interparlementaires.» Le compte-rendu est ensuite censé être rendu public.
Mais les vacances sont passées par là: le rapport n'est pas encore disponible.
En revanche, on peut consulter ceux des années passées: par exemple en 2010, le voyage à Guam, aux États fédérés de Micronésie et aux îles Marshall; ou en 2009 en Papouasie-Nouvelle-Guinée, aux îles Salomon et au Vanuatu. Un
groupe «régional» peut organiser un voyage par an, contrairement aux
groupes liés à un seul pays pour lesquels les déplacements doivent être
plus espacés.
Pour
celui de cette année, Jean-Pierre Demerliat (PS), qui, en tant que
président, participe à tous les déplacements, devait nous donner à la
fois le programme du voyage et son coût. Il a finalement décidé de ne
rien nous fournir, au motif que nous nous intéressions trop au budget.
Une curiosité qu'il a jugée mal placée.
Pendant vingt minutes au téléphone, il avait auparavant parlé«atolls», «îles volcaniques», «climat», «institutions locales», mais au moment du budget, il s'est agacé, lâchant seulement que «des sénateurs ont mis de l'argent de leur poche car le montant global dépassait le plafond autorisé».
Ledit
plafond est explicité dans le mémento: pour les déplacements dont la
destination est située à plus de 7 heures de Paris, la subvention
accordée par la questure du Sénat peut atteindre 55.000 euros (contre
40.000 euros entre 2 et 7 heures et 20.000 euros pour moins de 2
heures).
Des
efforts financiers ont été faits pour ces voyages couverts à 90% par le
Sénat. Les déplacements aériens ne se font plus en première, mais en
classe affaires. Les délégations ne peuvent plus être accompagnées des
conjoints ou de tiers. En dehors de l'hébergement et des frais
indispensables (cadeaux, interprétariat, etc.), l'indemnité journalière
forfaitaire s'élève à 76,50 euros.
Au
vu du mémento, le prix de l'hôtel ne semble en revanche pas plafonné
(alors que, quand une délégation étrangère est reçue à Paris aux frais
du Sénat, il faut trouver un hôtel à moins de 200 euros la nuit). Odette
Terrade et Jean-Marc Pillet nous ont tous deux assuré qu'ils n'avaient
pas dormi dans des hôtels de luxe.
Ce groupe d'amité France Vanuatu/Iles du Pacifique compte 34 membres selon le site officiel du Sénat. Selon le mémento,«l'effectif
de la délégation pris en compte pour le calcul de la subvention ne doit
pas excéder le dixième de celui du groupe, ni être supérieur à sept
sénateurs, président de la délégation inclus». Jean-Pierre Demerliat
assure qu'en réalité 40 sénateurs font partie du groupe. Et que Robert
Laufoaulu, sénateur des îles Wallis-et-Futuna, est venu «en voisin» sur son contingent de voyages annuels. Reste un sénateur de trop. «Le président se compte en plus de la délégation», explique le sénateur PS, en dépit du mémento.
Plus on est de fous, plus on s'instruit. Odette Terrade nous a vanté«les contacts avec les membres du Parlement», «la prise de conscience de l'influence chinoise», «le recul de la présence française», «la fragilité de la démocratie à Fidji», «le fait qu'aucun parlementaire français ne s'était rendu à Tonga sous la Ve République». Bref, «on
ne se l'est pas coulé douce, on n'a pas eu le temps d'aller bronzer sur
les plages, c'est même frustrant de ne pas avoir le temps pour les
plaisirs personnels». Odette Terrade appartient à d'autres groupes d'amitié, comme l'Espagne, la Belgique, ou l'Egypte: «Ma
fille a un copain égyptien, et je n'étais jamais allée en Egypte.
Appartenir au groupe d'amitié m'a permis d'y aller plus facilement avec
la délégation au droit des femmes.»
François Pillet aussi défend ces voyages, qui permettent de se faire«une idée indépendante de la situation politique et économique d'un pays en dehors des documents du Quai d'Orsay». Le groupe France-Iles du Pacifique, il s'y est inscrit car «sociologiquement, (il) ne connaissait rien de ces micro-Etats». «Cela permet aussi de voir quelques Français sur place», de remarquer que«l'Alliance française a besoin de plus de moyens» et de mieux«comprendre, par exemple, le réchauffement climatique».
A quel prix? «Il
faut savoir ce qu'on veut. Pourquoi ne pas comparer aux sommes
considérables investies par les Fédérations sportives nationales (avec
des subventions publiques) pour organiser un match amical au bout du
monde? Le rapport intérêt/prix, on peut en discuter des heures.»
Encore bien des interrogations
Qu'il
s'agisse des grandes masses du budget ou de ses petits secrets, le
document que nous publions ne remédie pas à l'opacité dont le Sénat fait
preuve. Qui connaît l'étendue du patrimoine immobilier du Sénat? Qui
connaît l'étendue de ses placements financiers, de sa cagnotte? Qui
connaît le fonctionnement exact de sa caisse de sécurité sociale? Ce
budget ouvre des pistes.
Tant reste à dire.

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