jeudi 10 mai 2012

Maintenant, François Hollande 

Par Edwy Plenel


La France tourne la page Nicolas Sarkozy, et c’est heureux. Mais la victoire de François Hollande est fragile parce que courte, malgré une radicalisation xénophobe de la droite qui appelait un vaste sursaut républicain. 

Elle est surtout provisoire tant que la gauche,
 ne sera pas assurée d’une majorité parlementaire.
 C’est pourquoi le temps est déjà compté : il faut agir, agir vite et nettement, afin de créer cette dynamique démocratique et sociale sans laquelle le changement ne peut susciter l’adhésion et la confiance.
Invitation à l’action en forme d’adresse au nouveau président de la République.


© (Hugo Vitrani)

... vous voici élu président dans l’un de ces moments historiques où la gauche a rendez-vous avec son destin. Car il ne s’agit pas, cette fois, de gérer en s’adaptant aux circonstances, mais de refonder, de réparer et de réinventer.

Refonder la République, réparer la France, 
réinventer l’Europe, 
oui, rien que cela, et tout cela à la fois.


Celles du « nous » démocratique, par opposition au « je » bonapartiste.
C’est sur la perte de ce « nous » que prospèrent les idéologies du rejet et de la hiérarchie, de l’exclusion et de la séparation, de l’identité fermée et de la frontière close. Et la culture politique diffusée par le présidentialisme, qui réduit le choix de tous à la confiance en un seul, est le meilleur allié de cette régression démocratique tant elle rend les citoyens spectateurs de leur propre dépossession : une politique à distance, une politique professionnelle et lointaine, une politique entre experts et initiés, une politique de cour et de courtisans, voire de mercenaires et de corrompus.

Nul hasard, de ce point de vue, si l’hyperprésidence sarkozyste s’est conclue par une charge contre les corps intermédiaires : cette politique dévitalisée et discréditée est le marchepied des sauveurs et des bonimenteurs. 
Fable du pompier incendiaire, elle appelle un chef omnipotent en lieu et place du peuple souverain qu’elle s’est ingéniée à diviser, démoraliser et démobiliser.

A l’inverse, en prenant peut-être mes désirs pour des réalités – seule la suite le dira –, ce qui me semblait vous distinguer dans le personnel politique, à l’époque où vous dirigiez le Parti socialiste, c’était cette sensibilité démocratique, au-delà de vos orientations stratégiques et choix tactiques, évidemment sujets à débats ou à désaccords.
« La République est le gouvernement de tous par tous » : vous invitant en 2004 à persévérer dans cette voie, j’avais rappelé ce Manuel républicain rédigé en 1871 à la demande de Gambetta par Jules Barni, un philosophe qui est aussi l’auteur d’un essai toujours jeune, La Morale dans la démocratie.



Rappelant des évidences piétinées par le cynisme politicien, par exemple que « la vertu est le fondement du gouvernement républicain, comme la peur est celui du gouvernement despotique », ce Manuel souligne qu’une République sans vertu civique  

« cesse d’être la chose de tous pour devenir la proie des intrigants ou des ambitieux, exploitant au profit de leurs convoitises la portion de pouvoir qui leur est dévolue ».


Désacraliser la fonction présidentielle

Mais sur le fond, nous aviez-vous répondu, vous ne retiriez rien de ce que vous m’aviez répondu, en 2006, dans un livre de dialogue, intitulé à votre demande
"Devoirs de vérité."



« Ce avec quoi il faut en finir, ce n’est pas l’élection du président de la République au suffrage universel, c’est le narcissisme démocratique – cette identification du pouvoir à un seul d’entre nous », répondiez-vous alors à mes questions insistantes sur le rapport de la gauche au pouvoir, dans le jeu contraint des institutions de la Cinquième République. Loin de vous dérober, vous ne vous faisiez pas prier pour critiquer « cet usage répété du “je” plutôt que du “nous”, la mise en scène de sa personne comme une offre politique à elle seule, ce narcissisme érigé en doctrine qui identifie le pouvoir à celui qui le désire le plus ».
Si je cite longuement ces propos d’il y a six ans, c’est parce qu’ils résonnent comme autant d’engagements ignorés par les médias dominants, tellement le présidentialisme, et sa servitude volontaire, leur est devenu une seconde nature, alors qu’il conviendrait, aujourd’hui plus que jamais, de vous les rappeler avec force. « Si on ne désacralise pas la fonction présidentielle, on ne rétablira pas la fonction démocratique », disiez-vous carrément dans ces Devoirs de vérité, après avoir confié :
« Je ne partage pas la conception d’un président qui ne s’appartiendrait plus, d’un chef de l’Etat qui serait investi d’une mission qui le dépasserait à un tel point qu’il échapperait à sa condition humaine, devenant finalement intouchable, au nom même de la protection des intérêts de la France. »
« Le problème en France, insistiez-vous encore,

c’est que l’on a sanctuarisé le pouvoir et celui qui l’exerce au sommet de l’Etat. (…) Nous faisons comme si la majesté du pouvoir était la majesté du peuple. Elle n’est hélas que le vestige d’un ordre ancien. » Et, pour finir, voici votre conclusion qui enfonçait le même clou : « Une authentique culture démocratique ne se réduit pas à la sélection d’un ou d’une candidate. C’est le projet, c’est le contrat, c’est la politique qui crée la dynamique. C’est le collectif qui porte l’individuel. (…) Une ambition qui ne se partage pas finit toujours par s’égarer dans l’aventure, l’échec ou l’impasse. Un pays ne se transforme pas par les intuitions d’un seul, fût-il investi par le suffrage universel. »

Tels sont les mots qu’il vous faut aujourd’hui transformer en actes. Non pas seulement en symboles éphémères, mais en déconstruction durable d’un présidentialisme hypertrophié, méprisant la séparation des pouvoirs et piétinant l’autonomie des contre-pouvoirs, afin de reconstruire une démocratie vivante qui redonne confiance et crédit à nos concitoyens dans leur avenir commun et dans la politique pluraliste qui en décide et en délibère. La normalité que, candidat, vous avez revendiquée recouvre cette exigence d’une présidence désacralisée et, de ce fait, exemplaire car rendue à la vertu publique :
celle de l’égalité républicaine, de l’égalité des droits et des possibles, contre le règne de l’exception et du privilège.


Dans notre dialogue de 2006, vous rappeliez la formule terrible de François Mitterrand sur ces institutions dangereuses avant lui et qui le resteraient après lui.
Et vous ajoutiez, en commentaire de cet aveu d’échec ou d’impuissance après quatorze années de présidence :

« Aujourd’hui, rien ne nous assure que le pouvoir fera
un bon usage du mandat qu’il a reçu. »

Autrement dit, aucune garantie véritable ne nous est donnée par nos institutions sur le contrôle du pouvoir et de son exercice.
 Et il peut arriver, hier – nous en avons eu la preuve depuis 2007 –
comme après-demain – qu’en sera-t-il de la droite extrême en 2017 ? –,  
qu’il tombe entre de mauvaises mains … 

 

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